Sur la plateforme de diffusion en direct, les suspensions abusives pour nudité s’enchaînent alors que les « contenus pour adultes » y sont désormais référencés, au risque de perturber les repères des utilisateurs.
(DR)
Août 2022, le journaliste et streamer Samuel Étienne est banni 24 heures de la plateforme de diffusion Twitch pour violation des règles de la communauté en matière de nudité. Sa faute : avoir diffusé, dans le cadre de son émission quotidienne La Matinée Est Tienne, une photo de corps nus présente dans le journal Libération.
Un système automatique et aveugle…
Sur X (ex-Twitter), l’ancien présentateur de la matinale de France Info déplorait « le manque de discernement et d’intelligence » du service de modération de l’entreprise californienne. Des lacunes qui peuvent notamment s’expliquer par le caractère automatique de la modération sur Twitch.
Pour pouvoir surveiller le contenu des plus de 7 millions de créateurs qui diffusent sur sa plateforme, le service de streaming utilise un algorithme programmé pour détecter et signaler automatiquement tout type de contenu jugé problématique.
Selon Vincent Carlino, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de l’ouest (Uco) de Nantes, la robotisation de la modération entraîne de nombreux cas de signalements abusifs. Sur Twitch, il vous est ainsi impossible de mentionner le mot « Hitler », que vous parliez de faits historiques ou non, sous peine d’être banni.
… empreint de « puritanisme »
Toutefois, la modération stricte de Twitch n’est pas totalement dépourvue d’empreinte humaine. Le professeur de l’Uco rappelle que derrière le fonctionnement de chaque algorithme, il y a « une décision humaine qui a été encapsulée dans des lignes de code ».
Une vision partagée à l’époque par Samuel Etienne : « N’allez pas imaginer que cette modération soit l’œuvre aveugle et dépourvue d’esprit critique d’un robot, il s’agit bien d’une décision humaine ». Sur son compte X, le présentateur de France 3 fustigeait une « modération puritaine » typiquement américaine, qui « ne sait pas (ou ne veut pas) distinguer l’information de la pornographie ».
Des règles strictes…
Pour Vincent Carlino, la plus grande lacune de l’algorithme de modération de Twitch est son manque de discernement entre un contenu et son contexte. C’est ce qui a notamment posé problème à Ponce. En juin 2021, ce streamer, qui comptabilise plus de 800 000 followers sur la plateforme, a été banni 24 heures. La raison : il avait diffusé la bande-annonce d’un film dans laquelle on pouvait apercevoir un téton féminin le temps d’une demi seconde.
Il faut dire qu’en matière de nudité, les conditions d’utilisation de Twitch ne laissent aucune place au doute. Elles interdisent aux créateurs de diffuser « du contenu qui comporte des représentations de nudité réelle » et précise notamment que sont bannis les « seins de femmes avec les mamelons exposés ».
… une interprétation «hypocrite»
De nombreux streamers et streameuses parviennent toutefois à contourner ce règlement peu équivoque pour diffuser du contenu sexuellement suggestif en direct. Nicolas, un utilisateur chevronné de la plateforme, s’étonne ainsi de voir apparaître sur la page d’accueil du site de nombreux streams de « hot tubs ». Dans ces lives, des streameuses s’affichent en bikini dans une piscine et discutent avec leurs spectateurs.
Même s’il ne s’agit pas de nudité à proprement parler, la libre diffusion de ce type de contenu jette un flou sur le fonctionnement de la modération de la plateforme. Pour Nicolas, l’hypocrisie de l’entreprise américaine s’explique par des motivations financières. « Twitch a bien compris qu’il y avait de l’argent à se faire avec ce type de contenu qui amène beaucoup de visiteurs ». Le trentenaire s’inquiète de l’impact que peut avoir ces lives sur l’image des autres utilisatrices de la plateforme. Alors que de nombreuses streameuses témoignent des remarques sur leur physique et du harcèlement qu’elles subissent, Nicolas estime que Twitch ne devrait pas être le lieu pour « des streams qui sexualisent encore le corps des femmes ».
En 2021, alors que la colère des utilisateurs contre la « hot tubs meta » commençait à gronder, Marcus Graham, directeur du service de la production communautaire, a usé d’une belle pirouette pour justifier la présence de ces contenus sur le site de streaming. A l’occasion d’un live diffusé sur la chaîne officielle de Twitch en avril il a ainsi expliqué : « Notre politique en matière de nudité et de tenue vestimentaire autorise les maillots de bain dans un contexte approprié et les jacuzzis entrent dans ce cadre. »
Pour mettre fin au débat, l’entreprise californienne a décidé en mai de la même année de créer une catégorie dédiée aux « contenus pour adulte ». De quoi laisser songeur sur les réelles intentions de Twitch en matière de nudité.
Alexis Gonzalez & Mathis Slimano