[FIFH2025] The Magdalene Sisters, silences et cris de femmes captives

En Irlande, entre 1922 et 1996, les femmes abusées, considérées comme trop libres, mères avant le mariage et autres, étaient envoyées dans des laveries tenues par des religieuses. The Magdalene Sisters, réalisé en 2002 par Peter Mullan, raconte avec violence et sans artifice les vies volées de milliers de victimes, enfermées et exploitées.

Rose a accouché hors mariage. Bernadette parle à des garçons dans la cour de l’orphelinat. Margaret a été violée par son cousin. Nous sommes en 1964, dans le comté de Dublin, en Irlande. Ces trois femmes, accusées d’attiser la tentation, d’être “tombées”, sont envoyées dans une blanchisserie de la Madeleine. 

Dans ce type d’établissements disciplinaires, gérés par des sœurs catholiques, les femmes sont coupées du monde et condamnées à laver du linge “pour laver leurs péchés”. The Magdalene Sisters, réalisé en 2002 par Peter Mullan et ayant reçu le Lion d’or de Venise en 2005, raconte crûment la violence de ces institutions religieuses, qui ont accueilli entre 10 000 et 30 000 femmes en Irlande, pendant plus de sept décennies.

Spectateur enfermé

Rose, Bernadette et Margaret font, dès leur arrivée, la connaissance de sœur Bridget, remarquablement interprétée par Geraldine McEwan. Une femme froide et violente, à l’image de la communauté qu’elle dirige. Dans la blanchisserie, on trime jusqu’à épuisement, on prie, on reçoit des coups, on prie, on reçoit des coups, on prie… 

Interdiction de parler aux autres femmes. Interdiction de s’arrêter de travailler. Interdiction de parler aux personnes de l’extérieur. Interdiction de mettre un pied dehors, si ce n’est pour étendre du linge. Durant les deux heures du film, le spectateur ne sort, lui aussi, que très rarement de la blanchisserie. La très grande majorité des plans est tourné entre ses murs, ses grilles. Une trame oppressante, un temps long, et l’étouffante impression d’être enfermé, de vivre au rythme de ces femmes internées. 

De nombreuses scènes se déroulent aussi la nuit, dans le dortoir. Une seule pièce, une vingtaine de lits alignés et le silence après la prière du soir. Les rares moments qui appartiennent aux femmes. Ceux où l’on chuchote quelques mots, on réfléchit, on pleure. Ou l’on tente aussi de s’évader.

Plus d’une a essayé, et plus d’une est revenue dans ce même dortoir, le crâne rasé et le visage en sang. Frappée par les sœurs, ou par la famille. Comme ce père haineux, hors de lui, qui jette sa fille sur son lit après qu’elle a pris la fuite. “Tu n’as plus de famille, plus de mère, plus de père”, lui dira-t-il en la matraquant de coups de ceinture. Le tout, sous le regard impuissant des autres femmes et celui, impassible, de soeur Bridget. Une scène d’une rare violence, sans filtre, ni visuel, ni sonore. Les images sont crues, les cris et le bruit du cuir sur le corps de la jeune femme sont les seuls qui rythment la séquence. 

Le silence et les coups

Dans The Magdalene Sisters, il n’y a presque pas de musique. Le spectateur subit le bruit sec des talons sur les sols de marbre, le son du linge que l’on frotte, celui des portes qui claquent, les voix irritantes des sœurs, l’agonie des filles qui tentent de se pendre…

Parce que oui, dans les laveries, on meurt. De vieillesse et dans l’indifférence des sœurs pour les plus anciennes captives, de maladies, des suites de violences, de suicide pour les autres. En 1993, 155 corps de malheureuses anonymement enterrées ont été retrouvés sur le site d’une des plus grandes laveries d’Irlande, proche de Dublin. 

Cinq ans plus tard, le documentaire Sex in a Cold Climate, pointait du doigt l’indignité de ces lieux et les crimes qui y furent commis. Le film The Magdalene Sisters vient lui aussi rappeler ces événements, alors que la société irlandaise a longtemps ignoré les atrocités cachées derrière la façade de ses couvents. 

Quelque temps après la sortie du film, en 2002, l’association Justice for Magdalenes est créée, le monde prend conscience de ces drames. Il faudra attendre 2013 pour que le gouvernement irlandais présente ses excuses, même s’il n’a pas encore reconnu sa culpabilité. 

Jean Rémond

The Magdalene Sisters, de Peter Mullan, film irlandais, 1h59