Seznec, ou comment la presse fabrique une affaire 

L’affaire Seznec a défrayé la chronique durant des dizaines et des dizaines d’années. Le procès de cet homme, accusé d’avoir tué un certain Pierre Quémeneur et condamné au bagne alors qu’aucun corps n’a été retrouvé, a aussi été influencé par l’intérêt démesuré de la presse. Dans “Seznec, la fabrique de l’affaire”, produit en 2024, Pierre-François Lebrun analyse ce phénomène avec précision.

En 1923, deux hommes quittent un hôtel de la ville de Rennes. Il est cinq heures du matin, Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère et négociant en bois, ainsi que Guillaume Seznec, maître de scierie, sont à bord d’une Cadillac qu’ils souhaitent vendre dans la capitale. Problème : sur la route, les pannes s’enchaînent. Alors qu’un rendez-vous est fixé quelques heures plus tard, Pierre Quémeneur décide de rejoindre Paris en train. Guillaume Seznec le dépose à la gare d’Houdan, commune des Yvelines, et reprend son petit bout de chemin.

Traitement sobre et rigoureux

On ne retrouvera jamais Pierre Quémeneur : son acolyte de voyage est accusé de l’avoir tué. Au terme d’un procès de huit jours, Guillaume Seznec est reconnu coupable du meurtre et est condamné au bagne à perpétuité, alors que l’avocat général avait requis la peine de mort. Le tout, alors même que le corps de la victime n’a jamais été retrouvé et que l’accusé plaide sans relâche son innocence. 

Naturellement, au vu des remous de cette affaire hors norme, dont on parle encore une centaine d’années plus tard, la presse de l’époque est friande de chaque rebondissement. Ce qui, au départ, n’était qu’un simple fait divers, est devenu un sujet de Une. Un emballement médiatique qui n’est pas sans conséquence sur le déroulé de l’affaire, et que le réalisateur Pierre-François Lebrun a précisément analysé pour son documentaire de 52 minutes : “Seznec, la fabrique de l’affaire”, coproduit par Aligal Production, Sundeck Films, France Télévisions et France 3 Bretagne. 

On ne compte plus les productions faites sur l’affaire Seznec, des documentaires sensationnalistes en passant par des films souhaitant rétablir la vérité. Pourtant  la justice française avait refusé, jusqu’en 2016, de revenir sur la culpabilité de Guillaume Seznec. Face à ce trop plein, le présent documentaire revient sur cette histoire avec sobriété et humilité. Aucune mise en scène mélodramatique, uniquement des entretiens avec des juges, des scientifiques et des personnalités politiques, ainsi que des archives de journaux d’époque. 

Une actu en chasse une autre ? 

Pour parfaire cette rigueur, l’historien pénaliste Michel Pierre accompagne la majorité du documentaire, sans plaider pour l’innocence ou la culpabilité de Seznec. C’est ainsi qu’un regard original est posé sur cette affaire si particulière, qui a exposé l’avidité de la presse pour le sensationnalisme. Pierre-François Lebrun met aussi en lumière un paradoxe : la presse est dépendante de l’intérêt du public pour écrire sur certains sujets, intérêt qu’elle crée elle-même à coups d’articles, d’émissions radio et de passages télé. 

Le réalisateur rappelle alors que, lorsque le verdict du procès est tombé, les médias ont pris cette décision comme allant de soi. Comme une actualité en chasse une autre, l’affaire tombe ensuite dans l’oubli, avant que le magazine Détective ne sorte un dossier spécial en 1931, sur la théorie d’un ancien juge plaidant l’innocence de Guillaume Seznec. L’emballement médiatique reprend. Au fil de “nouvelles informations”, de “nouvelles suppositions” sur l’affaire Seznec, la presse a publié, rebondi, cherché le scoop. 

Dans son documentaire, Pierre-François Lebrun illustre en détail l’impact qu’a eu la presse sur la longévité de cette affaire. Par la même occasion, le réalisateur réussit à offrir un traitement original à cette affaire, surmédiatisé depuis des décennies.

Jean Rémond

“Seznec, la fabrique de l’affaire”, de Pierre-François Lebrun, 2024, 52 minutes, documentaire français