Après La Danseuse, Stéphanie Di Giusto nous propose un nouveau film historique dont Rosalie, jeune femme atteinte d’hirsutisme, est l’héroïne. Loin du sensationnalisme, la réalisatrice choisit l’amour et la tolérance.
“ Je vous en prie, faites qu’il m’aime. ” Telle est la prière de Rosalie, superbement interprétée par Nadia Tereszkiewicz, plus que convaincante dans son rôle de jeune mariée atteinte d’hirsutisme. Comme il est d’usage à cette époque, l’union qui la pousse à quitter sa maison d’enfance, est un mariage arrangé. La dot versée par son père doit pallier aux difficultés financières rencontrées par Abel, tenancier d’un café interprété par Benoît Magimel, aussi dense qu’énigmatique.
Un film d’époque parfois scolaire
Éclairage à la bougie, robe à crinoline et à basques, déplacements en calèche, chasse à courre … Le film s’ouvre sur tout ce qu’il existe de plus convenu pour un film d’époque post-guerre franco-prussienne. La jeune Rosalie, accompagnée par son père, se retrouve débarquée dans un village digne de la Révolution Industrielle, que Stéphanie Di Giusto s’applique, parfois scolairement, à mettre en scène. Le patron de l’usine de blanchisserie, incarné par Benjamin Biolay, à qui la musique va mieux que le cinéma, y règne en maître des lieux intraitable.
L’atmosphère y est pesante, sombre voire parfois même inquiétante. Tourné à Perret, en centre-Bretagne, le film prend place dans un décor fait de pierres de granit et de meubles en bois massif. Tous les villageois sont habillés de noir et de gris. Une photographie dont la colorimétrie contraste avec la candeur de Rosalie, habillée de blanc ou de bleu, mais aussi avec la nature verdoyante qui entoure le village et qui deviendra vite le refuge de la jeune femme.
Le déploiement d’un regard féministe
En adoptant un regard bien à elle, la réalisatrice réussit l’exercice difficile du deuxième long-métrage de fiction. Loin du sensationnalisme que l’on redoutait à la lecture du synopsis, puisque Rosalie est atteinte d’hirsutisme, un dérèglement hormonal qui provoque une densité de poils masculine, Stéphanie Di Giusto tient sa promesse. La pilosité de Rosalie n’est qu’un arc narratif parmi d’autres, le plus souvent passé au second plan, sinon l’instrument d’une prise de pouvoir et d’un propos féministe.
Après une première partie du film où Rosalie se soumet au regard d’Abel, se faisant discrète et encaissant, sans un mot, son rejet lorsqu’il découvre son torse velu lors de leur nuit de noces, l’héroïne prend en main son destin. C’est elle qui prend la décision, dans le but de renflouer les caisses du café et prouver ainsi son dévouement à son époux, de ne plus se raser. Elle devient alors, et d’elle-même, une sorte de bête de foire : une femme à barbe. Photographiée, interviewée, épiée, Rosalie assume ses nouvelles responsabilités. Mais à une condition. Si elle accepte d’être touchée, pour que les plus curieux vérifient que ce sont de vrais poils, c’est uniquement de son plein gré et jamais sans son consentement.
Le pari est gagné. Le café ne désemplit pas. De même que le pari de la réalisatrice : adopter un regard féminin, ou female gaze comme l’a théorisé Iris Brey, en opposition au male gaze. Rosalie inonde ce village d’une gaieté à toute épreuve, lumineuse et pleine de vie, malgré le fait qu’elle continue à se heurter au caractère taciturne de son mari. Elle gagne peu à peu la confiance de certains habitants, et noue même des amitiés féminines, sans que jamais il ne soit question d’hommes, de jalousie ou de quelconque rivalité.
Un personnage trop moderne ?
La manière de filmer le désir féminin que découvre Rosalie est également précieuse dans ce film. Jamais, la caméra ne la déshabille ou la réifie en tant qu’objet sexuel. Lorsqu’elle est filmée dans une posture de sensualité, c’est toujours de l’initiative de l’héroïne, à l’instar de ses photos de charme. De même, jamais une scène de sexe n’est filmée avec voyeurisme. L’intimité n’est qu’un moyen de représenter l’amour naissant qui se déploie entre elle et Abel mais n’est jamais la finalité. Ces scènes sont d’ailleurs peu nombreuses, souvent suggestives plutôt que crues, ce qui sert encore davantage le propos. Elles représentent une exploration de la sexualité et du désir féminin comme rarement au cinéma, à l’instar d’une scène de masturbation en pleine forêt ou d’un rapport entre Rosalie et Abel où elle embrasse langoureusement les doigts de son partenaire.
Il est réjouissant de voir des représentations d’une telle féminité qui, bien que hors norme, résonne en chacun de nous. Ce film porte haut les valeurs de tolérance et d’acceptation de soi, même si la réalisatrice semble parfois oublier que son film s’inscrit dans la période de la fin du XIXème siècle. Stéphanie Di Giusto explique pourtant s’être documentée sur plusieurs femmes à barbe de l’époque, dont la Vosgienne Clémentine Delait. Mais malgré le jeu puissant de Nadia Tereszkiewicz, on a parfois du mal à croire à tant de liberté et de modernité.
Enora Foricher @EnoraForicher