Meta a récemment instauré un abonnement payant pour ses utilisateurs européens sur Facebook et Instagram, élevant ainsi la question cruciale pour les internautes : devenir le client des plateformes ou rester le «produit» en permettant l’exploitation de leurs données.
Longtemps considérée comme une blague, l’idée de payer pour utiliser Facebook a laissé place à la réalité depuis ce mardi 7 novembre. Facebook et Instagram sont passés en mode payant en France et en Europe, brisant ainsi l’emblème de la gratuité que ces réseaux sociaux arboraient fièrement. Pendant des années, les utilisateurs se sont habitués à ne pas payer pour accéder à ces plateformes, acceptant en échange la captation de leurs données et l’exposition à des publicités ciblées selon le mantra bien connu : si c’est gratuit, vous êtes le produit.
Les 260 millions d’utilisateurs européens de Facebook et Instagram ont reçu un message les invitant à souscrire à un abonnement s’ils désirent échapper à la collecte d’informations. « Un choix s’impose », indique le message : « Les lois évoluent dans votre région, nous vous offrons donc une nouvelle alternative quant à l’utilisation de vos données pour les publicités ciblées.»
Les utilisateurs ont deux options : s’acquitter d’un abonnement de 9,99 euros par mois sur ordinateur (12,99 euros par mois sur mobile) pour éviter que leurs informations soient utilisées à des fins publicitaires, ou continuer à utiliser les plateformes gratuitement tout en autorisant l’utilisation de leurs données pour des annonces ciblées. Meta présente cette alternative en soulignant la possibilité de «découvrir des produits et des marques grâce à des publicités personnalisées tout en utilisant vos comptes gratuitement.» Une référence au règlement européen en vigueur depuis 2018 : le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui vise à protéger les données personnelles des européens sur Internet.
Cet abonnement couvrira tous les comptes Facebook et Instagram liés à un utilisateur jusqu’au 1er mars 2024. Ensuite, il faudra débourser 6 euros par mois pour ajouter un compte sur un ordinateur et 8 euros par mois depuis un mobile.
Devenir client ou rester le produit
Pour les internautes, le choix se cristallise : payer pour devenir client des plateformes ou demeurer le produit en consentant à l’exploitation de leurs données personnelles. Ceux qui optent pour l’abonnement ne constateront pas une amélioration significative de leur expérience. Ils seront simplement exposés aux mêmes publications, avec moins publicités et qui ne seront pas ciblées. Cette modification de politique de Meta résulte principalement des évolutions réglementaires européennes récentes et des décisions judiciaires condamnant les pratiques de l’entreprise américaine.
Dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 4 juillet dernier, les juges ont statué que Meta devait obtenir le consentement explicite des internautes pour collecter leurs informations personnelles, conformément aux obligations imposées par le RGPD depuis mai 2018. Jusqu’alors, l’entreprise avait tenté de se soustraire à cette obligation en plaidant que les utilisateurs avaient accepté les conditions d’utilisation lors de leur inscription, et que l’utilisation de ces données était indispensable au fonctionnement des services. Pour Stéphanie Laporte, fondatrice de l’agence de publicité OTTA, cette décision tient avant tout d’une mise en conformité : « L’enjeu financier est anecdotique. Le prix qui a été mis en place est un prix psychologique, volontairement dissuasif. Les utilisateurs vont pour la plupart renoncer et vont être une infime partie à payer. » En effet, loin d’être un signe de détresse financière de la part de Meta, les revenus de l’entreprise continueront à venir en grande majorité de la publicité et de la revente de données.
Vers des réseaux sociaux payants ?
Contrainte de respecter le droit européen sous peine d’amendes importantes, Meta a choisi d’explorer une troisième option, basée sur une interprétation du droit européen validée par le récent arrêt de la Cour de justice de l’UE : offrir une alternative, sans publicité ou presque, sous la forme d’un abonnement payant aux utilisateurs qui n’ont pas donné leur consentement à l’utilisation de leurs informations pour des annonces publicitaires ciblées.
Cette offre doit encore être approuvée par les autorités européennes de protection des données personnelles. Elle pourrait être jugée illicite si l’UE estime que le tarif de l’abonnement est «inapproprié», car il dépasse largement les revenus générés par le traitement des données d’un utilisateur européen, estimé à 6 euros par mois selon les chiffres de Meta. En proposant un abonnement à 10 ou 12 euros par mois, Meta impose un coût élevé aux internautes qui préfèrent ne pas être suivis, et qui ont été traqués à leur insu pendant les cinq années où le RGPD n’a pas été correctement appliqué par le groupe.
V.L. Barrot
S. Orus Boudjema