Le film Sympathie pour le diable plonge le spectateur au cœur du siège de Sarajevo dans les années 1990. Adaptation du roman éponyme, le réalisateur Guillaume de Fontenay a travaillé pendant 14 ans. Un film pour rendre hommage à un reporter dont le cinéaste a admiré le travail. Une chronique de guerre qui dit l’urgence de la paix. Et le rappel d’une constante universelle, intemporelle : un rêve de monde meilleur.
Veste sombre et foulard noir, Guillaume de Fontenay se fraye un chemin dans les allées du cinéma Jean Eustache. Il faut dire que le public
du 30e Festival du film d’histoire de Pessac, est venu nombreux.
Ce vendredi 22 novembre, la projection de Sympathie pour le diable, premier long-métrage, du réalisateur est attendue. Son précédent passage dans le Sud-Ouest, lui avait valu quatre prix à Saint-Jean-de-Luz. Au détour d’un couloir, une petite salle nous accueille.
Anvers, Waterloo ou Arras il y a peu. Votre film Sympathie pour le diable est à l’affiche de différents festivals. Qu’est-ce qui plaît à votre avis ?
Je crois que ça tient à la présence d’un fil d’Ariane : l’histoire de Paul [reporter de guerre français ndlr] qui captive et séduit. Il était véritablement investi d’une charge. Quand je l’écoutais à Montréal, il terminait tous ses flash de la même manière : « tout ça sous l’œil impassible de la communauté internationale » . Quand on y pense, c’est un jugement très fort sur la plus grande chaîne canadienne. Il l’a répété sur France info ici, RTBF en Belgique, Radio suisse romande. Il a parlé de nettoyage ethnique avant que ce terme soit accepté. Aujourd’hui encore, quelque chose résonne. Quand on réécoute les archives de Paul, dans son regard très juste sur cette guerre, on remarque une intelligence extraordinaire.
Dans votre long-métrage, vous adaptez le roman de Paul Marchand sans romancer le personnage. Pourquoi ?
Je n’ai pas voulu faire de Paul un héros ni un personnage gentil. Dans le film, j’ai crée avec l’équipe un arc qui nous le rend plutôt désagréable au début. Tranquillement, Paul commence à nous entrer dans la peau. Comme moi qui l’ai connu en découvrant derrière le masque l’écorché vif, le personnage touche et on s’attache progressivement à lui. En renonçant à le romancer, je souhaitais faire un peu comme un journaliste. J’ai mis devant la caméra des faits. Comme la mise en image de la violence par exemple. Elle est traitée de manière journalistique et pas comme au cinéma à l’américaine. J’ai essayé d’éviter toute complaisance pour être le plus honnête. Cette honnêteté, je l’ai exprimée à travers la façon de filmer, le rythme du film, celui du montage et même dans la manière dont les scènes sont tournées. J’ai choisi d’en faire une narration presque sensorielle tout en maintenant une espèce de froideur. Aucune musique n’indique que c’est un moment de suspense, ni quand il va falloir pleurer. Tous ces choix, me permettaient d’être le plus fidèle possible au sujet.
Vous évoquez une manière de filmer quasi-journalistique, un souci d’exactitude. Le genre du documentaire vous a-t-il inspiré ?
C’est un drôle de référent. En réalité, dans ce tournage tout est calculé, millimétré, étudié pour provoquer une certaine narration. L’espèce de réalisme qui est porté à la caméra peut faire penser au documentaire. Pourtant, la vérité c’est que je n’aurais jamais su émouvoir avec un documentaire là où d’autres réussissent avec brio. Les gens réagissent à ce film, ils vivent quelque chose au visionnage. Dans la fiction, c’est plus facile de construire une narration, contrairement au documentaire. Là, la narration fait partie des bases.
Votre film a mis de longues années à voir le jour. Le temps de la construction bien sûr mais un temps pour convaincre des coproducteurs aussi. Qu’est-ce qui bloquait ?
On préférait que j’en fasse une histoire. Je voulais plutôt en faire une chronique de guerre. Je trouvais aberrent de créer à Paul une histoire. Au cinéma, une histoire a souvent un léger côté manichéen. Je pensais c’était justement le fait de pouvoir se promener qui intéresserait. Avec Paul, on découvre les check-points, et finalement entre les check-points bosniaques et serbes. Entre ceux qui sont dits musulmans et les orthodoxes (bosniaques) c’est le même sang ! Il n’y a que 1% de différence entre les langues. Je n’ai pas voulu faire de film manichéen. Parce que, dans une guerre, qu’est-ce qui est moral ? Qu’est-ce qui est juste ? Est-ce possible qu’un journaliste traverse la ligne ? Dans un conflit normal, les journalistes vont et viennent dans divers endroits. À Sarajevo, les gens ont été marqués par ce conflit parce qu’il y sont restés longtemps. Des liens d’amitié, éventuellement d’amour ont pu se nouer. D’un coup, notre relation avec cette population devient organique. Comment ne pas sentir à un moment, que ces bombes sont dirigées vers nous ? Comment accepter que la communauté internationale ne réagisse pas ?
Avec quelle émotion voulez-vous que les spectateurs repartent ?
J’aimerais que le spectateur ressorte en prenant conscience que les journalistes qui risquent leur vie sont les seules antennes, que nous avons pour connaître ce que le monde nous cache. 80 journalistes sont morts en fonction en 2018, sans compter ceux qui sont torturés, emprisonnés, ceux qu’on tuent dans des ambassades au vu et au su de tous. Qui se demande si la façon dont poutine dirige son pays est légitime ? Est-ce qu’on trouve normal que nos gouvernements réagissent si mollement face à la crise environnementale ? Non ! Est-ce qu’on trouve ça normal d’avoir abandonné la Syrie ? Et ses 400 000 morts ?! Ce qu’on oublie et que j’ai essayé de dire avec ce film c’est que les guerres, partout, ce sont des victimes. Les premières victimes sont les civils. Des femmes, des enfants, innocents. Des mamans, des papas. Des gens qui ont des familles. Pris en étau au travers d’une guerre qui ne les regarde même pas.
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Face à ces horreurs que retenez-vous de l’expérience de Paul ?
Paul était un personnage intéressant, intelligent et sensible. Je pense à cette phrase très forte qu’il avait « un rêve de monde meilleur, même si le rêve est obscène et turbulent » . La phrase est bouleversante parce qu’on rêve tous d’un monde meilleur. Pourtant, on se rend compte que ce rêve est obscène et turbulent lorsqu’on pense à ce qui se produit dans le monde.
Propos recueillis par Lauriane Vofo Kana