Capitale du vin ? Temple de la gastronomie ? Ville la plus tendance en 2017 ? Bordeaux est aussi à la pointe en matière de vente directe de produits agricoles. Peu d’intermédiaires, pas de pesticides et des producteurs locaux. Objectif : manger mieux et faire vivre les petits producteurs.
Bordeaux serait-elle la ville la plus locavore de France ? Comprenez, qui consomme local. Alors que les éleveurs pestent contre la baisse des prix d’achat, dénoncent les intermédiaires et les grandes enseignes, la capitale girondine se targue d’avoir un réseau de consommation en circuit court particulièrement dense.
Circuit court, kézako?
Vent debout contre les grandes enseignes de distribution, le circuit court est un système de commercialisation de produits agricoles du producteur au consommateur, avec au maximum un seul intermédiaire. Des produits de saison, peu d’emballages, un minimum de transports, plus de lien social, et surtout davantage de traçabilité pour les consommateurs. Popularisé en France par le développement des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) il y a une dizaine d’années, le circuit court a la côte. Les AMAP… mais aussi les Ruches et autres « supermarchés locavores » qui font de plus en plus d’adeptes. À Bordeaux, on s’y perdrait presque…
Ok, mais que choisir?
Vous l’aurez compris, il y a du choix. L’Institut National de Recherche Agronomique en a même identifié une vingtaine (Marchés de plein vent, vente à la ferme, revendeurs sur les marchés…) Mais toutes ces initiatives ne proposent pas les mêmes services, chacune a ses spécificités. Petit tour d’horizon des principaux acteurs du circuit court à Bordeaux.
« Les consommateurs en ont marre de cette consommation à outrance ! »
Depuis leur création, ces structures comptent de plus en plus d’adeptes.«Quand on a ouvert il y a 3 ans et demi, il y avait 50 adhérents. Aujourd’hui on est près de 3000 ! » se réjouit Nathalie, bénévole dans la Ruche des Chartrons. « Depuis l’émission Cash investigation, il y a une grosse prise de conscience », explique-t-elle. Même les cantines scolaires s’y mettent. D’ici 2020, 40% de produits locaux, dont 20% issus de l’agriculture biologique seront imposés aux menus.
Un système vertueux donc, qui permet d’acheter des produits de qualité, à 80% girondins, tracés, mais surtout, de laisser l’éleveur respirer. « C’est fondamental ! », s’exclame Yvon Crance, le propriétaire de la Coopérative paysanne de Lormont, qui avoue avoir quelques difficultés à convaincre de nombreux éleveurs « On fait un peu peur car on est tout nouveau. Les éleveurs ont peur de quitter le système classique pour nous. C’est très difficile d’entrer en confiance avec eux». Si la coopérative ne se cache pas de prendre une commission de 30% sur les produits mis en vente dans son magasin, elle garantit d’écouler plus de produits, et donc de générer plus de bénéfices au profit des producteurs.
Pour parvenir à ses fins, cet ancien chef d’entreprise espère le soutien de la région afin de se développer et surtout ouvrir de nouveaux magasins dans Bordeaux : « J’ai demandé à Alain Rousset (Président de Nouvelle-Aquitaine) de sécuriser la coop. On va ouvrir 6 magasins. On doit pouvoir garantir aux éleveurs une programmation car il faut près de cinq ans pour élever une bête. Je veux leur garantir de pouvoir acheter leurs bêtes d’ici 2018-2019 ». En attendant, la Coop paysanne fait de plus en plus parler d’elle. Une seconde boutique a ouvert en juin 2016, à Cénon. D’autres, du même genre, voient le jour en France :
Que des avantages, vraiment?
Pour autant, ce mode d’approvisionnement n’est pas tout rose. Pour le consommateur d’une part : contraintes d’horaires et respects des dates de distributions, au mieux une à deux fois par semaine et paniers à payer en avance dans les AMAP. Pas tout rose non plus pour le producteur, qui « ne peut pas passer des gros volumes en circuits courts », rappelle Thierry, producteur de pommes à la Ruche des Chartrons. Peu de volume, peu de clients, trop petites structures, le circuit court semble donc pour l’instant ne rester qu’un mode de consommation alternatif. « Chez nous, il n’y a pas de croissance du nombre d’adhérents. On est limité par la faible productivité des maraîchers, on ne peut pas distribuer au-delà », avoue Thomas, adhérent à l’AMAP de Bacalan.
D’ailleurs, les modes de distribution classiques restent indispensables pour les producteurs. Si selon l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique), un agriculteur sur cinq en France passe par le circuit court, le dernier recensement agricole de 2010 précise lui que pour 40 % d’entre eux, le circuit représentait 75 % de leur chiffre d’affaires. Soit moins de 10% des agriculteurs. Encourageant certes, mais la grande distribution garde un poids important. « Les AMAP et les Ruches sont de bonnes idées, mais de trop petites structures, avec des petits volumes », avoue Yvon Crance, de la Coop paysanne.
Et financièrement?« Au moins deux fois moins cher qu’en grande surface », affirme Rémi, adhérent de l’AMAP Bordeaux centre. À 7 euros 50 le panier, il dit« tenir une semaine, à trois ». Un bon plan donc. Encore faut-il se rendre disponible pour aller chercher ses paniers dans la semaine. Contrairement au supermarché locavore, ouvert lui toute la semaine. « On a 4000 euros de loyer, huit salariés, donc il y a des charges à payer que l’agriculteur doit assumer. Au niveau des fruits et légumes, nous sommes moins chers que la grande distribution. Après dans l’épicerie, le miel, la confiture, on est plus cher ».
Comme le dit l’adage, on ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière.
Valentin Breuil, photo Manon Derdevet