Lucile Peytavin (historienne et autrice du livre Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes » aux éd. Anne Carrière) analyse les raisons des inégalités salariales persistantes entre les femmes et les hommes. Interview.
Pourquoi malgré un corpus législatif important qui garantit une égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, les femmes sont-elles, à travail égal, encore moins bien payées, subissent plus le temps partiel, et se heurtent au plafond de verre ?
C’est un vaste sujet. La première chose à dire, c’est que la loi qui concerne les inégalités professionnelles est toujours un enjeu. Ça fait des décennies que les lois ont été promulguées, qu’il y a un arsenal législatif de plus en plus important, et pourtant la loi n’est toujours pas respectée. Il y a un aspect qui est plus historique, plus culturel. On pense que les femmes, souvent, elles ont commencé à travailler à partir de la Première Guerre mondiale. Mais en fait, elles ont toujours travaillé au même rythme que les hommes, dans les champs, dans les boutiques, dans les ateliers et dans les industries aux 17ème et 18ème siècles, puis à la Révolution industrielle. Mais le travail des femmes n’était pas connu, ni reconnu, il était invisibilisé, parce qu’elles n’avaient pas vocation à travailler. Leur destin était lié à leur biologie, le premier rôle des femmes, ce n’était pas celui de ramener de l’argent, mais celui de faire des enfants. Et jusqu’en 1946, en France, il y avait l’idée que le salaire des femmes était un salaire d’appoint. Ce n’était pas un salaire qui avait vocation à nourrir et à faire vivre une famille, donc, on payait les femmes beaucoup moins que les hommes. C’était même quelque chose inscrit dans la loi et qui allait de soi dans les mentalités. Je pense qu’il y a encore aujourd’hui, d’un point de vue culturel, un peu cette idée : le salaire des femmes, finalement, ce n’est pas si grave s’il est moins important que les hommes.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui de manière pratique explique ces inégalités salariales persistantes ?
La première et la plus importante, c’est la question du partage de la parentalité, qui est fortement inégalitaire. Parce qu’aujourd’hui encore, on considère que ce sont les femmes qui doivent s’occuper des enfants et qui sont finalement les parents par défaut. Elles assument 70 à 80 % des tâches domestiques et parentales. Cela a un énorme impact sur leur carrière, puisque les femmes vont diminuer leur temps de travail pour s’occuper des enfants. Dans les familles avec un enfant, 28 % des mères sont aujourd’hui à temps partiel, puis 42 % d’entre elles quand il y a trois enfants. Et ce qu’on remarque, c’est que plus les femmes ont des enfants, plus leur revenu diminue. Quant à celui du conjoint, soit ça n’a aucun effet, soit il va augmenter parce que monsieur va poursuivre sa carrière et ne sera pas impacté par cette charge parentale. Je dirais que ça, c’est la première raison : les hommes ne prennent pas leur part dans la parentalité. Alors, ils ne la prennent pas tout à fait parce que la loi joue. Le congé paternité est de quatre jours obligatoires, et d’une durée maximale de 25 jours. Avec si peu de jours, comment un père peut-il apprendre à s’occuper de son enfant ? Donc, la loi doit changer.
Cette inégalité salariale s’explique aussi par le fait qu’il n’y ait pas assez de place dans les crèches. Le rapport de l’Observatoire national de la petite enfance en 2016 indiquait qu’il y a 17 places de garde d’enfants en accueil collectif pour 100 enfants en France. Comment c’est possible que le fait de faire garder son enfant soit à ce point un problème ? La parentalité, c’est vraiment le nerf de la guerre.
Même si les jeunes femmes sont plus diplômées du supérieur que les hommes (49% contre 40%), elles sont pourtant peu nombreuses dans les postes à responsabilité et rémunérateurs, pour des questions de plafond de verre et d’orientation, mais aussi parce que le fait de diminuer son temps de travail, de travailler à temps partiel empêche des carrières aussi fulgurantes que celles des hommes : elles ne vont pas atteindre les mêmes postes que ceux des hommes.
J’imagine qu’il y a aussi des blocages culturels au sein des entreprises, que les hommes refusent encore que les femmes occupent les positions avec le plus de responsabilités…
Dans l’imaginaire collectif, dans les schémas culturels des entreprises, l’autorité, elle est encore aujourd’hui incarnée par un homme. Quand on va penser à une femme pour un poste à responsabilité, on va toujours se demander « mais est-ce qu’elle a les épaules ? ». Il y a effectivement encore cette pensée que les femmes n’incarnent pas ce rôle, qu’elles vont manquer d’autorité… Tous ces stéréotypes qui empêchent qu’elles montent dans la hiérarchie. Et c’est pour ça que les quotas sont, à mon sens, très importants. Il ne faut pas les voir comme une fin en soi, mais comme des outils à un instant T. Je pense à la loi Copé-Zimmermann qui fixe des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises, on est passé de 8,5% de femmes dans ces conseils en 2017 à 38 % en 2016. S’il n’y avait pas eu de quotas, on serait toujours à 8,5%.
Par exemple, en Suisse, il n’y a pas de quotas. Eh bien, dans les conseils d’administration, il y a 80 % d’hommes. On entend souvent l’argument, « il faut laisser les choses se faire », mais en fait, les choses ne se font pas. C’est parce qu’il y a une action, souvent impulsée par les mouvements féministes, que les choses avancent dans le bon sens. Et c’est important que les femmes soient représentées dans ces conseils d’administration, parce qu’il y a des études qui montrent qu’en dessous d’un seuil de 30 % de représentativité, les idées véhiculées par un groupe de personnes ne vont pas passer, ne vont pas être influentes.
Margot Favier