Dans son documentaire, 1871. Portraits d’une révolution, Cédric Condon raconte la Commune de Paris au travers d’une série de photos captées au cœur de l’évènement. Celles qui ont glorifié les Parisiens insurgés et celles qui les ont condamnés.
Propos recueillis par Julie Malfoy
Votre documentaire raconte la Commune à travers la photo. Pourquoi avoir choisi ce format ?
On se demandait comment raconter la Commune d’une façon moins académique. Avec Jean-Yves Le Naour, on est tombés sur Bruno Braquehais, ce photographe qui a suivi toute la Commune de l’intérieur et qui a pris énormément de photos des barricades et des Communards. Et on a choisi d’articuler notre récit autour de lui.
Vous évoquez dans votre film une dizaine de photographes présents à Paris pendant les évènements. Pour quelles raisons avez-vous fait le choix de portraitiser Bruno Braquehais uniquement ?
C’est surtout lui qui a suivi les Communards après la fuite des Versaillais. Les autres photographiaient surtout les ruines, les morts, ou reconstituaient des scènes. Il faut savoir qu’avec les techniques de l’époque, il était impossible de prendre des clichés des combats. Mais il y avait aussi Hippolyte Blancard, un pharmacien et photographe amateur. Lui était plus riche et possédait un meilleur matériel. Plusieurs de ses photos apparaissent dans le film. Par exemple, la photo avec les Allemands attablés sur la terrasse un bar.
Pourtant vous ne le précisez pas dans votre film.
On aurait peut-être dû le faire, c’est vrai. Mais un documentaire expose un point de vue et oblige à prendre des raccourcis. Au départ, nous parlions de quatre photographes. Mais le film durait 170 minutes, on a dû couper à 52 minutes. Nous n’avons gardé que trois photographes pour le récit : Bruno Braquehais, Eugène Disdéri et Eugène Appart. On a dû couper Hypolite Blancard au montage. Il valait mieux insister sur les premiers photomontages de l’Histoire d’Eugène Appert. Parce que ça, on ne le sait pas : c’est un peu les premières fakenews de l’image. Appert disait « Qu’importe si ce que je montre est vrai ou faux, c’est la vérité que je raconte. »
Pourquoi avoir pris des extraits de films russes pour illustrer les évènements ?
C’est eux qui ont magnifié la Commune dans le cinéma. L’événement leur a servi d’exemple pendant la révolution bolchévique. Lénine avait sorti le champagne parce que leur mouvement avait duré deux jours de plus que la Commune ! J’avais aussi trouvé un film d’Alice Guy, première réalisatrice française de l’histoire du cinéma. C’est un court-métrage de 5 min sur une barricade, mais les images se mêlaient mal avec les films russes et leurs budgets incroyables, donc je ne l’ai pas utilisé.
Dans votre film vous faites le choix de la reconstitution à partir d’éléments épars portés par une voix off, pourquoi ?
On avait peu de matière et on voulait un récit de ces évènements par la photo, donc par les photographes. C’est mon truc : mélanger fiction et archives. Mais sans perturber le spectateur qui se sentirait balloté entre fiction et histoire. C’est pour ça que je mets les moyens : ces séquences de reconstitution représentent un tiers du budget du film !
Le choix d’une narratrice unique part de la même idée. Des entretiens auraient cassé le rythme du film.
D’où vous vient cet intérêt pour la Commune ?
Je vis à Paris, et pendant un temps, j’avais vue sur le sacré coeur. C’est une histoire qui m’a toujours intrigué, mais je ne la connaissais pas vraiment, comme beaucoup de gens. En faisant le film, j’ai découvert certaines choses qui m’ont beaucoup touché. Par exemple, qu’il y avait 800 morts dans les grottes ou la rivière des Buttes Chaumont. Et pourtant, à cet endroit, il n’y a rien pour le rappeler. A Montmartre, il y a des plaques, d’accord. Mais à Belleville, on trouve une plaque en vas d’un escalier du jardin, elle est toute petite. Elle est bien cachée, il faut la trouver, hein ! Et au Père-Lachaise, Adolphe Thiers a un tombeau énorme, alors que les Communards sont on-ne-sait-pas-combien dans une fosse commune derrière une plaque ! C’est ça que l’on voulait montrer.
Vous vouliez leur rendre hommage ? Il y a une place conséquente laissée aux visages de la Commune, jusque dans le titre : « Portraits d’une révolution ».
En fait, on a voulu représenter le peuple. La masse d’individus. Il y a beaucoup de gens, d’anonymes, qui ont écrit et fait des choses, mais seuls quelques un sont restés dans l’histoire. C’est pour cela qu’on ne nomme personne ou presque dans le film. On les voit qui reviennent parfois, pour apporter un côté émotionnel. Par exemple, cette jeune femme brune que l’on voit tirer à la fin et qui se fait fusiller. Mais ne pas leur donner de nom montre la force du peuple par l’union des individus.