Alors que la moitié des personnes menstruées souffrent durant leurs règles, venir travailler peut être compliqué, voir impossible. En France, associations féministes, syndicats et personnalités politiques commencent à se pencher sur la question d’un congé spécifique.
« Une de mes collègues prenait des sacs en toile de jute, qu’on utilisait pour les colis, les pliait en quatre et les mettait sur son siège pour saigner dessus lors de sa tournée. C’était sa manière de gérer ses règles hémorragiques. Elle ne faisait même pas ça pour elle, mais pour ses collègues qui allaient utiliser la bagnole après », se remémore Marie Vairon, secrétaire général de Sud PTT, troisième syndicat de la Poste. En juin dernier, à l’occasion de négociations d’un nouvel accord sur l’égalité professionnelle, l’organisation syndicale avait posé sur la table la question du congé menstruel. En vain.
Si en France le sujet peine à arriver, le 16 février dernier, le Sénat espagnol a adopté définitivement le congé menstruel pour les personnes souffrant de règles douloureuses. Les espagnol·es concerné·es peuvent obtenir un arrêt maladie, financé par la Sécurité sociale, une fois que leur médecin ait fixé le nombre de jours de congé. Jusqu’à présent, les personnes s’absentant de leur poste de travail ne recevaient aucun salaire au cours des trois premiers jours d’arrêt.
Les menstruations comme projet politique
En France, les personnes souffrant de menstruations incapacitantes sont toujours face à cette situation. Samarkand, caissière dans un magasin de grande distribution, souffre de règles hémorragiques dues à un syndrome des ovaires polykystiques. Elle doit s’absenter deux à trois jours par mois et perd donc entre 100 et 180 euros sur son salaire. Selon une enquête d’OpinionWay pour l’association Règles Élémentaires*, 44 % des femmes ont déjà manqué le travail ou connaissent quelqu’un·e l’ayant fait à cause de ses règles. Mais, face à l’exemple de l’Espagne, premier pays d’Europe à légiférer dans cette direction, le monde politique français commence à se pencher sur la question.
Lors des élections présidentielles, déjà, Yannick Jadot (Europe écologie les verts), Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Valérie Pécresse (Les Républicains) avaient inscrit le congé menstruel à leur programme. Et le sujet pourrait arriver sur la table du gouvernement prochainement. Isabelle Rome, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, doit aborder la question de la « santé des femmes » en Conseil des ministres le 8 mars prochain. L’été dernier, elle s’était déjà prononcée en faveur d’un débat sur la question. Les député·es NUPES Sandrine Rousseau, Marie-Charlotte Garin et Stéphane Peytavie travaillent actuellement sur une proposition de loi pour créer ce droit au congé menstruel. Ielles ont annoncé lancer prochainement une consultation auprès des associations féministes et des organisations syndicales.
Attention à l’impasse sur l’avis médical
Pour l’association Osez le féminisme, le congé menstruel est une « fausse bonne idée » car « s’il visibilise le problème des douleurs de règles, il normalise le fait d’avoir mal », explique Fabienne El Khoury, porte-parole de l’association. « Si les femmes n’ont pas besoin d’aller consulter pour se faire arrêter, elles n’iront jamais se faire diagnostiquer. » Or les dysménorrhées, nom scientifique des menstruations douloureuses, ont presque toujours pour cause une pathologie. « Il faudrait éventuellement créer un nouveau système d’arrêt maladie, mais qui passe toujours par une consultation médicale », propose-t-elle.
Osez le féminisme recommande la suppression des trois jours de carence des congés maladies. Un point sur lequel s’accorde la CGT. « Ils sont problématiques dans d’autres cas aussi : par exemple lorsque des employé·es malades, qui ne peuvent se permettent de perdre des jours de salaires, se rendent quand même au travail et contaminent le reste de l’équipe », argumente Frédérique Barlett, conseillère confédérale chargée des questions relatives aux droits des femmes et discriminations. Certaines entreprises, souvent de tailles importantes, remboursent déjà ces trois jours de carence. C’est à ce titre que les syndicalistes de SUD PTT s’étaient vu refuser l’instauration d’un congé menstruel à la Poste. « Cette différence crée des inégalités entre les salarié·es », dénonce Frédérique Barlett.
Pour les deux femmes, l’urgence est que les maladies qui handicapent les personnes menstruées soient mieux prises en charge par la Sécurité sociale, du diagnostic au remboursement des absences. Invisibilisées durant des siècles, aujourd’hui encore aucune des pathologies liées à l’utérus n’est reconnue comme une affection longue durée (ALD). Sans ce titre, elles ne bénéficient pas d’un remboursement à 100% dès le diagnostic. Les malades peuvent néanmoins demander à leur médecin de faire la demande auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie, si leur traitement est long et coûteux.
La balle dans le camp des entreprises
« Il y a un parcours de reconnaissance mais il est très long », déplore Lola de Montalembert, avocate spécialisée dans le droit social et du travail. Elle s’occupe régulièrement de répondre aux questions des entreprises au sujet du congé menstruel. Pour elle, une obligation nationale d’octroyer des congés aux personnes souffrant de règles douloureuses risque de provoquer un « retour de flamme » : « On peut se demander si en entretien d’embauche, on ne va pas avoir la question “comment sont vos règles“… » Au lieu de : “Est-ce que vous voulez des enfants ?“. D’autant que les règles sont encore taboues et dévalorisées : 1 femme sur 3 a déjà subi des moqueries ou des commentaires acerbes sur ses menstruations.**
L’avocate a déjà accompagné une start-up jusqu’à l’insertion de jours de congés pour les personnes souffrant de douleurs de règles dans une accord d’entreprise. « Mais il s’agissait d’une entreprise avec une ambiance familiale où les femmes n’ont pas peur que cela se retourne contre elles. » Cette mesure a pu être prise grâce à une décision datant de 2017 de la Cour de cassation, qui admet qu’un accord collectif puisse « prévoir au seul bénéfice des salariées de sexe féminin (…) dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ».
Certaines entreprises choisissent plutôt d’assouplir les conditions de télétravail. C’est parfois suffisant. Dans tous les cas, il faut rendre officielles les dispositions prises « pour que les salarié·s se sentent à l’aise d’en profiter », assure Lola de Montalembert.
Charlotte Toublanc
* Étude OpinionWay pour Règles Elémentaires réalisée du 20 au 26 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1001 femmes et hommes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
**Étude Ifop pour Intimina réalisée du 17 au 28 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1 010 femmes, représentatif de la population féminine française âgée de 15 à 49 ans.