[La spéciale 8 mars] L’entrepreneuriat est toujours une affaire d’hommes

Dans la start-up nation et le monde de l’entrepreneuriat, les femmes sont largement sous-représentées, sous-financées et moins bien rémunérées. Victimes d’un système de stéréotypes sexistes dans l’économie capitaliste traditionnelle, elles s’imposent dans l’économie sociale et solidaire.

Lorsqu’il s’agit de monter ou diriger une boîte, le déséquilibre entre les femmes et les hommes est abyssal. Aujourd’hui, une seule femme dirige une des 40 premières start-up de la French Tech, Éléonore Crespo, et 15 femmes dirigent les 120 premières. Elles n’étaient que 5 en 2020.

Ce cas-là n’est pas uniquement français puisqu’en 2015, le Guardian a révélé qu’il y a plus de John (17) que de femmes (7) à la tête des 100 plus grandes entreprises du Royaume-Uni. Le même constat est fait outre-Atlantique : parmi les patron·nes des 1 500 plus grandes entreprises américaines, on trouve plus de John que de femmes.

La parité pour le 22ème siècle

Ces dernières années, les choses évoluent dans le bon sens mais à ce rythme, il faudrait encore attendre des décennies avant d’atteindre une parité dans les équipes fondatrices de start-up. Selon le baromètre Sista BCG sorti en 2019 sur l’accès aux financements des start-up par genre, la parité parmi les équipes fondatrices de start-up ne sera pas atteinte avant 2090 pour la France. Une évolution très lente entretenue par un cercle vicieux. En 2020, les start-up fondées par des femmes ne récoltent que 10% des levées de fonds en France.

© Baromètre Sista BCG sorti en 2019 sur l’accès au financements des start-up par genre

Les femmes poussées à s’associer aux hommes

Selon une étude de l’université Columbia de New-York et l’université de Pennsylvanie, les investisseur·euses posent des questions très différentes selon le genre de leur interlocuteur·ice. Iels s’intéressent aux risques pour les femmes et au potentiel de développement de l’entreprise pour les hommes. « Présomption de réussite d’un côté, présomption d’échec de l’autre » (Les Nouvelles News). Les investisseur·euses vont forcément financer ceux qui les ont fait rêver, pas celles qui ont parlé risque. 

Les femmes vont aussi moins entreprendre avec d’autres femmes puisqu’elles ont moins de chance de lever des fonds. A des fins stratégiques, elles sont poussées à s’associer à des hommes.

Des différences notables à tous les niveaux

Non seulement elles sont sous-représentées et sous-financées, mais les femmes dirigeantes de start-up sont aussi moins bien rémunérées : environ 33% de moins que leurs homologues masculins et cela s’accentue depuis la crise sanitaire. 

© The Galion Project, Edition 2022

Même son de cloche du côté des entreprises de la vieille économie. Selon une étude de la BpiFrance, seulement 12% des dirigeant·es des PME françaises sont des femmes. Plus la taille des entreprises augmente, moins les femmes accèdent aux postes de dirigeantes. Aussi, leur rémunération moyenne est inférieure à celle des hommes et ce, « quelle que soit la taille de l’entreprise ».

Financer et visibiliser les femmes

Pour éviter de voir les femmes s’associer à des hommes pour leurs entreprises, des collectifs se créent et tentent de mettre fin à ce sexisme entrepreneurial. C’est le cas de SISTA qui accompagne les entrepreneures dans leur levée de fonds. En 2022, Tatiana Jama, cofondatrice du collectif a créé le Sistafund I. Un fonds déjà doté de 30 millions d’euros prévu pour être investi dans les premières levées de startups dirigées, ou co-dirigées, par des femmes. Le Sistafund I permettra d’accélérer le processus de diversité dans une économie jusque-là tournée vers les hommes.

L’économie sociale et solidaire, la riposte féminine

Les femmes doivent-elles chercher à s’adapter à une économie créée par les hommes ? La question se pose au vu de leur réussite au sein de l’économie sociale et solidaire. Une économie qui fait sans doute moins de chiffre d’affaires (CA) que l’économie capitaliste telle qu’on la connaît, mais qui est plus créatrice d’emplois et plus respectueuse des droits et de l’environnement.

Comme l’explique Maud Sarda, cofondatrice de Label Emmaüs et investie pour l’économie sociale et solidaire (ESS) : « Les 120 entreprises de la French Tech ont créé 50 000 emplois, dont 30 000 en France, pour 11 milliards de CA. Cela fait un emploi par tranche de 220 000 €. […] Notre coopérative est dans un rapport de 1 emploi pour 33 000 € de CA. Mais on peut aussi parler de la diversité et de la mixité dans la Tech : 55 % de femmes chez Label Emmaüs contre 17 % dans la tech en France ».

© Chambre régionale de l’Économie Sociale et Solidaire

Ces chiffres concernent le Label Emmaüs mais sont assez représentatifs de l’ESS en général. Selon la Chambre régionale de l’Économie Sociale et Solidaire, les femmes ont une place bien plus importante dans cette économie. Toutefois, l’égalité est encore loin. Majoritaires parmi les cadres, il n’y a pourtant que 37 % de présidentes.

Une avant-garde qui peut mieux faire

Comme le note le gouvernement dans son rapport de l’égalité femmes-hommes dans l’ESS de 2021 : « “A travail égal, salaire égal” n’est pas garant d’égalité entre les femmes et les hommes. L’absence de mixité par catégorie d’emploi est visible par le confinement des femmes à des emplois peu qualifiés, donc moins rémunérés ».

Une fois de plus, les femmes sont astreintes à des emplois moins valorisés que les hommes, y compris dans une économie moins masculinisée. Il apparaît nécessaire d’inventer de nouvelles normes. Le quota de 30 % de femmes chez les cadres dirigeant·es et membres des instances dirigeantes en 2027, votée à l’Assemblée nationale en 2021 abonde dans ce sens. 

Alexandre Tellier