Nombreux sont les métiers où les hommes sont plus que majoritairement présents. Et inversement. Ce qui explique bien des inégalités salariales. La mixité des métiers ne progresse que très lentement.
Presque autant de femmes que d’hommes ont un emploi en 2022, selon l’Insee. Une parité théorique car, quand on se penche sur le détail des métiers, des disparités sont toujours présentes. Selon l’Observatoire des inégalités, en 2022, 70% des femmes exercent des métiers « féminisés » tandis que 64% des hommes exercent des métiers « masculinisés ». Et les métiers « féminisés » ne sont pas les mieux rémunérés.
Dans certaines professions, les écarts sont énormes. Seulement 2% d’hommes occupent un poste d’assistant·es maternel·les et 4% de secrétaires. Dans les études de technologie, d’ingénierie et de numérique, les femmes représentent moins de 30% des effectifs d’après l’Observatoire des inégalités. Un chiffre qui stagne depuis 2013.
Si les études dans les technologies comptent très peu de femmes, c’est aussi le cas dans les métiers auxquels ces études mènent. À titre d’exemple, dans le Web3, une version d’Internet en construction basée sur la blockchain, 3% des start-up ont été fondées par des femmes et elles ne représentent que 12% des emplois dans les rôles techniques. Les plateformes de demain sont conçues par les hommes, pour les hommes.
Le tuyau percé
Les femmes qui parviennent à se frayer un chemin dans ces domaines sont rares. « Au collège j’aimais beaucoup la physique. C’est tout simple mais je trouvais ça assez extraordinaire. » Laurie Neuville a 21 ans et toute sa scolarité est rythmée par les sciences. Elle est aujourd’hui élève à l’ENSEEIHT, grande école d’ingénieur·es à Toulouse. « J’ai commencé à me diriger vers les sciences au lycée. J’ai choisi S parce que j’aimais bien les maths et j’étais intéressée par la SVT à l’époque. C’est ensuite que j’ai découvert que j’aimais créer des objets et que je me suis intéressée à l’ingénierie. »
Dans sa classe, sur 24 élèves, elles sont seulement sept femmes. Même constat pour Morgane F., employée depuis janvier dans une entreprise d’informatique. « J’ai fait des études de physique fondamentale à la fac, en licence, master et doctorat. On était une ou deux filles par groupe de TD, sur 35 ou 40 élèves. »
Alors que les spécialités scientifiques comptent 40% de filles au lycée. Parfois, les femmes motivées par ces métiers se découragent au fil du temps. « À chaque étape, on perd des effectifs féminins. Elles sont 40% au lycée, 30% à l’université ou en classe préparatoire, 20% en école d’ingénieur·es. C’est ce qu’on appelle le tuyau percé », explique la sociologue Clémence Perronet. Plus ça avance, plus les femmes disparaissent.
C’est une fois arrivée en étude supérieure que Morgane se rend compte que son milieu est majoritairement masculin. Une fois dans le monde du travail, elle sera traitée différemment. « En tant que femme et en tant qu’apprentie, je n’étais pas prise au sérieux. Les gens ne me confiaient pas de responsabilité. Un homme n’aurait pas ce genre de problème, moi il faut toujours que je fasse mes preuves pour avoir de l’autonomie et des responsabilités. »
Et cette inégalité se construit dès le plus jeune âge. Dès 8 ans, les enfants sont confronté·es à des représentations qui distinguent les filles des garçons. Les femmes sont censées être douces, discrètes, belles, tournées vers les autres. Les hommes sont montrés comme courageux, valeureux, forts.
« Tout ça vient rencontrer les valeurs de certains métiers. Les activités scientifiques sont associées à des représentations qui rapportent au masculin. En sciences, il faut être dans le génie, la vitesse, la compétition », détaille Clémence Perronet. L’intellect et la logique priment, qualités symboliquement rattachées au masculin. Alors que la femme serait dans l’émotif et le corporel. Une incompatibilité entre la féminité et les valeurs des sciences est induite dès le plus jeune âge.
Encouragements et hostilité
Les jeunes filles qui parviennent à pénétrer le milieu scientifique naviguent entre deux milieux. Avoir un parent dans ce domaine peut être un avantage. C’est le cas de Laurie, dont le père est chercheur dans la micro-électronique. « Ce sont aussi des filles qui ont des soutiens qui les accompagnent dans cette gestion de valeurs contradictoires », précise Clémence Perronet.
« Je pense que je me suis adaptée en quelque sorte. Ça pousse à s’affirmer un peu plus, à ne pas être en retrait. Je suis discrète de nature, mais quand je suis au boulot je me pousse à parler, à affirmer mes idées. Je sais qu’il faut être entendue et être vue pour gagner en responsabilités », raconte Morgane.
Mais l’écrasante présence masculine peut toujours être un frein. Le sexisme reste très présent. « Il y a beaucoup de violences sexistes et sexuelles dans ces milieux-là. Dans les écoles mais aussi dans la tech », constate la sociologue. Selon une enquête de 2015, nommée « Elephant in the Valley », 60% des femmes qui travaillent dans la tech à la Silicon Valley depuis plus de dix ans, ont déjà subi des situations de harcèlement sexuel au travail. Elles représentent seulement 30% des effectifs.
Bien qu’elle n’ait pas été victime, ces violences ne sont pas inconnues à Laurie Neuville. « Une fille de ma classe dit souvent qu’on lui fait des remarques et des blagues à caractère sexuel. Elle devait partir en séminaire avec ses collègues mais elle avait peur de s’y rendre car il y avait un risque que quelqu’un se présente à sa porte. Elle n’y est pas allée et n’a pas voulu se plaindre à l’école. »
Un parcours de combattante
Bien évidemment, la tech ou l’ingénierie ne sont pas les seuls métiers où les femmes peinent à se faire une place. C’est le cas aussi dans les métiers du Bâtiment et travaux publics (BTP). De ce système sexiste, Olga Alexandre a fait les frais.
Aujourd’hui âgée de 47 ans, elle décide de se reconvertir dans la plomberie à 35 ans. Elle suit alors une formation de 9 mois à Paris, après avoir déposé un dossier à Pôle emploi. Dès le départ, en raison de son genre, cette reconversion a été pour elle un « parcours du combattant ». Ou plutôt de la combattante.
« J’ai dû être convaincante pour faire admettre que je pouvais être plombier. » Même si ses efforts aboutissent, elle a dû travailler deux fois plus que ses homologues masculins « pour faire ses preuves ». Et malgré cela, « ça a été compliqué pour trouver des stages à cause de mon âge et de mon genre ».
Une fois toutes compétences acquises, rebelote pour trouver un emploi : « Je n’ai pas réussi à décrocher un contrat suite à mon stage car le patron m’a dit qu’il ne voulait pas employer une femme pour ne pas perturber l’équipe sur le terrain. »
Sexisme sur les chantiers
Comme son projet professionnel ne se déroule pas comme prévu, elle décide de se mettre à son compte directement. Chose qu’elle n’aurait pas eu à faire si elle était un homme : « Avec mes capacités, j’aurais dû avoir un poste en CDI. » Et puis, il y a une adaptation à adopter pour ressembler aux hommes le plus possible : « On lisse sa personnalité, on se camoufle un peu. Je ne mettais pas de bijoux par exemple. »
Sur les chantiers, Olga Alexandre a fréquemment subi des remarques sexistes. Il lui est même arrivé, une ou deux fois, de quitter un chantier car elle ne se sentait pas en sécurité. « Dans ces moments-là, on se sent un peu seule. » Il y a 8 ans, elle se rend chez un client pour réparer ses toilettes : « Il ne m’a pas quittée des yeux pendant que je travaillais. Je pense qu’il ne l’aurait pas fait avec un homme. » Surpris, ce client ne s’attendait pas à voir arriver une femme plombière chez lui. « Dans son regard, je voyais qu’il se disait “c’est dingue, elle y arrive vraiment”. »
Aujourd’hui, Olga Alexandre se félicite de voir le monde du BTP changer un peu : « De plus en plus de femmes se lancent dans les métiers du bâtiment et elles dédiabolisent le côté fermé et masculin du BTP. » Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), en 2022, 24% des TPE/PME du secteur de la construction ont une femme à leur tête. En 2020, la FFB comptabilise 12,3% de femmes dans le bâtiment mais seulement 1,6% d’entre elles travaillent sur les chantiers.
La mixité des métiers est encore loin.
Fanny Baye et Shan Cousineau