« On pensait que la culture était un secteur à l’avant garde de l’égalité hommes-femmes, mais on s’est rendu compte que les chiffres étaient moins bons que dans l’armée.» Cette phrase est celle de Rozenn Bartra, cofondatrice du collectif HF pour l’égalité de genre dans le monde des arts et de la culture, en 2006. Mais bien des évolutions plus tard, la parité peine encore à s’ancrer dans le marbre.
Moins bien rémunérées et peu valorisées
Vous vous souvenez peut-être des récents propos de Jennifer Lawrence concernant le tournage de la dystopie Don’t Look Up. La star américaine avait confié sa « frustration » d’avoir été payée 5 millions de dollars de moins que son confrère Léonardo Di Caprio, alors que tous·tes deux incarnaient le duo principal. Cette réalité ne concerne pas seulement les métiers d’acteur·ice et de réalisateur·ice. Reprenant les chiffres du Centre National du Cinéma (CNC), le Collectif 50/50 (qui promeut l’égalité dans l’audiovisuel) a mis en image la différence de salaires horaires moyens dans la production cinématographique entre les hommes et les femmes.
À la réalisation et à la production, professions du cinéma à haute responsabilité, il y a environ 37% de différence de salaire entre les hommes et les femmes. Ce pourcentage diminue selon le type de métier. Pour les mixeur·euses par exemple, l’écart salarial se situe à 17% ; 11% pour les maquilleur·euses et 2% chez les figurant·es.
L’industrie musicale n’est pas épargnée par ce constat : en février 2023, le rapport du Centre National de la Musique (CNM) analyse que les écarts de salaires sont plus importants dans les CDI signés par les femmes : elles sont payées 11 % de moins que leurs homologues masculins, contre 3% pour un contrat en CDD. Dans le spectacle et sur scène, les contrats en temps partiel concernent aussi davantage les femmes que les hommes. Autre problème, pour Rozenn Bartra : « On retrouve plus de femmes dans les métiers qui sont moins valorisés.»
« Les sièges des postes de direction sont des sièges à mémoire de forme, masculins »
Dans la hiérarchie des postes, les femmes peinent à percer le plafond de verre. Au sein des scènes de musiques actuelles, seulement un poste à la direction sur cinq était tenu par une femme en 2021. Sur les dix plus gros festivals de musique français, un seul est dirigé par une femme (We Love Green). Un constat repris par le mouvement HF dans tous les domaines culturels. Rozenn Bartra résume : « Les directeurs sont des hommes, et les sièges des postes de direction sont des sièges à mémoire de forme. Il y a une reproduction patriarcale des instances de pouvoir.»
Concernant le cinéma, seulement 31% des films sont réalisés ou co-réalisés par des femmes (c’était 23% en 2020). Mais ces dernières représentent 55% des premiers films : ce qui montre bien qu’elles se saisissent de la profession. Aux Césars 2023, Alice Diop a remporté le prix du meilleur premier film pour Saint-Omer.
Les invisibles
Au-delà des questions salariales, les oeuvres existent parce qu’elles sont financées, encensées, montrées, primées. Cette année encore, aucune femme n’a été nommée dans la catégorie meilleure réalisation pour les Césars 2023. Au Festival de Cannes, le nombre de réalisatrices primées par la Palme d’or se compte sur les doigts de la main : Jane Campion en 1993 pour La leçon de piano, et Julia Ducournau en 2021 avec son film Titane. Cette même année, aucune artiste femme n’était nommée dans la catégorie meilleur album des Victoires de la musique. Depuis la création des Victoires en 1985, seulement 5 femmes ont reçu un prix contre 49 hommes.
« On regarde d’abord une œuvre, on ne regarde pas le genre », c’est ce qu’entend régulièrement Rozenn Bartra lorsqu’elle sensibilise les professionnel·les sur le sujet. « Mais le talent, ce n’est pas inné, ça se construit, avec des moyens et de la mise en réseau », souligne-t-elle. Elle ajoute que programmer en intégrant le critère de parité est tout à fait faisable.
« Il y a des programmateurs qui ne pensent pas à mal quand ils bookent cinq mecs sur une soirée. Mais il faut leur dire de faire un effort, de se poser la question », souligne Violaine – Yenkov de son nom d’artiste. Depuis deux ans, la DJ est membre d’un collectif 100% féminin, le Venus Club. Elle constate combien les programmateur·ices des clubs prêtent rarement attention à la parité. Dans la musique électronique, seulement un DJ sur 10 est une DJ. Pire, tous styles de musiques confondus, plus la fréquentation des salles de spectacle augmente, plus la part de femmes programmées diminue.
Les inégalités persistent aussi dans le financement des films. Les subventions sont apportées à 41% aux réalisatrices, et les sommes engagées sont moins importantes que pour celles des hommes. Le rapport du CNC affirme ainsi qu’un film réalisé par une femme coûte en moyenne moitié moins qu’un film réalisé par un homme. En 2021, tous les films de plus de 10 millions d’euros ont été réalisés par des hommes.
Compter pour corriger
Qui décide de ce qui fera œuvre, de ce qui doit être applaudi ? Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que les femmes se voient garantir quatre des neuf places de jurés du Festival de Cannes, au minimum. Depuis sa création, le festival n’a été présidé que 11 fois par des femmes (contre 56 fois par des hommes). Cette année encore, la présidence a été attribuée au réalisateur suédois Ruben Östlund.
Rozenn Bartra insiste : « Si vous avez moins d’un tiers de femmes sur une photo de classe, vous avez l’impression qu’elles n’existent pas. » Alors les collectifs et associations comme H/F ou le collectif 50/50 comptent, publient des rapports et sensibilisent les institutions et les professionnel·les. Le CNC s’est mis à compter. Depuis 2018, les équipes paritaires qui demandent des subventions ont droit à un bonus de 15%.
Créer des réseaux
Dans son podcast « Cherchez la femme », Flore Benguigui s’applique à raconter les artistes, autrices, compositrices, directrices d’orchestre ou ingénieures du son. Au fil des épisodes, l’auteure compositrice interprète, voix du groupe L’impératrice, lie l’aspect historique au témoignage et tisse des liens entre les femmes. Puis, elle en fait un événement : une fois par mois, les femmes de l’industrie musicale sont invitées à se retrouver à la petite Halle du parc de la Villette, un espace de réseautage précieux. Flore Benguigui a constaté que les femmes ont plus de mal à se créer un réseau solide dans l’industrie de la musique.
« Jamais je ne me serais lancée sans le collectif, je trouvais ça inaccessible », confie la DJ productrice Yenkov. Avec un petit groupe, elles ont lancé Venus Club, le collectif 100% féminin qui réunit plus de seize DJ, et d’autres professionnelles du secteur de la musique. La jeune femme a appris les bases auprès d’autres femmes qui, comme elle, se passionnaient pour le mix s’en oser s’y lancer.
« On a voulu y apporter plus de modèles sur la scène électronique : on n’a pas les opportunités donc on va les créer », ajoute la DJ. De nombreux collectifs de femmes DJ se constituent dans ce même objectif depuis quelques années. « Dans certains esprits c’est encore difficile de comprendre que tu peux être belle et douée », ironise Yenkov.
« On ne sera ni de passage, ni un effet de mode. »
Alice Diop, meilleur premier film aux Césars 2023
Faire bloc ensemble, évoluer dans la sororité est une impulsion essentielle pour la carrière des femmes artistes. « On ne sera ni de passage, ni un effet de mode. On est appelées à se renouveler année après année et à s’agrandir », a lancé Alice Diop en brandissant son César du meilleur premier film lors de la cérémonie 2023. Noémie Merlant a décerné son prix de la meilleure actrice dans un second rôle à « toutes les réalisatrices qui auraient dû être célébrées ce soir. » Même chose pour Virginie Efira, César de la meilleure actrice, qui a pris soin de ne remercier que des femmes. C’est par le discours que commence la visibilisation.