Deux ans après le premier procès en Égypte pour harcèlement sexuel, en 2008, Les femmes du bus 678 de Mohamed Diab cherche à briser le tabou des violences sexuelles et fait ressentir le cauchemar des victimes. Une fiction révoltante de vérité qui souffre parfois de simplifications stéréotypées.
Un citron pour alibi. Sur les routes cahoteuses du Caire, en Égypte, des hommes d’un bus bondé profitent de l’entassement pour se frotter aux passagères. Dans leur poche, ils glissent un petit agrume vert pour justifier leur bosse naissante. Un zeste d’incongruité pour une anecdote acidulée qui vise à représenter la banalisation permanente des agressions sexuelles. Avec des scènes filmées comme des flash traumatiques, Mohamed Diab illustre l’urgence de la ville dominée par des prédateurs qui chassent en toute impunité. Face aux nombreuses situations violentes et menaçantes, le pouls s’accélère, le cœur palpite et l’on suffoque à la vue des victimes qui transpirent d’angoisse. L’enchaînement brusque des scènes et l’utilisation de flashbacks incohérents ratent parfois cependant leur effet, rendant inaudibles certains dialogues et incompréhensibles des passages clés de l’histoire.
Rappeler que la lutte est un privilège
Derrière la critique virulente d’une société sous le joug du patriarcat, le réalisateur immortalise surtout la pluralité des luttes féministes avec le portrait de trois Égyptiennes que tout oppose et qui vont s’unir pour défendre leurs droits. Seba, riche bourgeoise intellectuelle ; Nelly, jeune artiste moderne et révoltée ; et Fayza, mère traditionaliste de milieu modeste, soumise et silencieuse. Bien que ce triptyque suggère l’idée que la lutte engage au-delà des origines sociales et religieuses, il est maladroit sous bien des aspects et frôle la caricature. Parmi une myriade de figures masculines, seules trois héroïnes sont mises en lumière, dont les rôles laissent penser que les femmes ne se résument qu’à des types restreints et stéréotypés de personnalités. Il reste cependant efficace pour dénoncer une problématique essentielle : le combat et la liberté de révolte est un privilège. Fayza, la seule qui porte le voile, le hurlera lors d’une confrontation avec ses consoeurs : “Ce sont les femmes comme moi qui payent, celles qui rasent les murs pour ne pas se faire remarquer”. Car si elle n’a pas d’autres choix que de survivre par la violence discrète (elle pique l’entrejambe des frotteurs du bus avec un cutter), les deux autres jouissent d’un accès bruyant à la scène médiatique et à la justice.
Puis vient la remise en question de la lutte. Seba, qui s’armait jusque-là de savoir et de diplomatie, finit par choisir, elle aussi, de prendre les armes. Ce changement de paradigme est marqué par un clin d’œil de l’Histoire : avant la brutale protestation, face au miroir et la haine dans les yeux, elle se coupe les cheveux avec hargne et vigueur. Mohamed Diab était-il visionnaire ou est-ce simplement le signe malheureux d’une lutte qui ne s’essouffle pas ? Douze ans après sa sortie, le film brûle encore d’actualité et pose l’éternelle question : faut-il en venir à la violence pour obtenir l’égalité ?
Colombe Serrand
Les femmes du bus 678, de Mohamed Diab avec Nahed El-Sebai, Bushra Rossa, Nelly Karim, Omar El-Saeed, Basem El-Samra.
Film égyptien, sorti en 2010, 1h40.