Aujourd’hui, la bande dessinée ne cache plus son nom : le 9ème art s’expose dans de prestigieuses galeries
, se vend aux enchères, et s’invite sur les écrans de cinéma. Et avec des budgets qui ne sont pas des moindres. Le film « Valerian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson, en salle le 26 juillet prochain, est tiré de l’oeuvre des bédéistes Jean-Claude Mézières et Pierre Christin. Il s’agit du film français le plus cher de l’histoire.
Lors du festival d’Angoulême cette année, une exposition « Valérian de la case à l’écran » était consacrée à la série culte, pour fêter ses cinquante ans.
Exit donc l’image de la BD « ringarde » pour enfants, place à la BD superstar. Pierre Christin, écrivain et scénariste de bande dessinée nous explique comment, 50 ans après les débuts de Valérian, sa série trouve encore son public, jusqu’à être adaptée au cinéma.
B.D. Factory : quand la bulle s’invite au musée
Cette influence de la bande dessinée au cinéma se retrouve également dans les arts plastiques. Elle prend son essor dans les années 60, avec le Pop art et l’utilisation des images populaires dans les pratiques artistiques (Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Jeff Koons). L’exposition B.D. Factory au Frac Aquitaine, propose à travers trois générations d’artistes, de découvrir l’histoire commune des deux disciplines. Une histoire marquée de clins d’œil, d’emprunts et de réciprocités. Si artistes et auteurs partagent leur goût du récit en images, il ne s’agit pas pour la Claire Jacquet, commissaire de l’exposition, d’afficher des planches originales. Il est question, à travers la B.D. Factory, d’explorer les passerelles entre ces deux milieux. On l’écoute dans cette vidéo :
Un marché fructueux mais fermé
La BD superstar c’est bien, mais rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y parait. Pour Marc Antoine Boidin, scénariste, dessinateur et coloriste de bande dessinée, ainsi que vice président pour le groupe BD du SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs), la reconnaissance de la BD est une bonne chose. Mais il nous invite à y regarder de plus près, car la grande majorité des bédéistes vivent dans la précarité.
Des planches de BD exposées dans des musées et 2,5 millions d’euros pour une planche d’Hergé, ça vous inspire quoi ?
Marc Antoine Boidin : Je n’y vois pas de problème. Pour moi la BD génère des œuvres, et d’ailleurs en terme d’art on est 9e de la liste ! La finalité première évidemment ce n’est pas la planche mais bien le livre, l’histoire qu’on raconte et qu’on dessine. Cependant, une bande dessinée ça reste une création, un objet conçu par un auteur qui est, à mon sens, un artiste. Il n’est donc pas incroyable que la vente de certains planches génère de beaux pactoles. Et puis Hergé ce n’est même plus de l’art, c’est du patrimoine historique.
Ceci dit, il est évident que ça soulève des interrogations. Notamment car ça donne naissance à une idée reçue ; celle que le monde de la bande dessinée se porte bien. Lorsqu’on évoque la vente d’une planche originale à 2,5 millions d’euros, on parle d’1% des auteurs. Et les autres 99 % dans tout ça ? Derrière cette réalité relative, il y a la grande majorité des auteurs qui galèrent. La dernière étude des Etats généraux de la BD montre qu’en 2013, 33% des auteurs de bande dessinée vivaient en dessous du seuil de pauvreté, un pourcentage qui augmente chaque année de 2%. Faites les comptes : en 2020 la moitié des bédéistes seront en dessous du seuil de pauvreté. Alors la « starification » du genre, vous comprenez…
Et les adaptations au cinéma, ça sert la BD ou pas ?
MAB : Je pense que pour un bédéiste voir son oeuvre adaptée audio-visuellement, c’est une consécration, une reconnaissance immense. Et évidemment cela a un impact sur la BD elle-même, avec un effet d’annonce. Mais les grosses productions s’attaquent à des BD déjà extrêmement connues. Alors, est-ce la BD culte qui sert le Blockbuster ou le Blockbuster qui sert la BD culte ? C’est l’histoire de la poule et de l’oeuf…
Généralement, les plus petites productions – de dessins animés notamment – achètent à des éditeurs les droits d’adaptation aux rabais. Et les auteurs ne toucheront, dans la grande majorité des cas, que 50% des droits sur 70 ans, avant que l’oeuvre ne tombe dans le domaine public. L’autre moitié de ces droits d’auteur iront à l’éditeur. Les droits d’auteur n’appartiennent donc même plus aux auteurs ! C’est indécent.