La réalisatrice Ishtar Yasin a présenté en avant-première son dernier film, “Dos Fridas”, au festival du film d’histoire de Pessac. Une fiction poétique qui transporte le spectateur dans l’univers de Frida Kahlo mais à travers les souvenirs de Judith, l’infirmière qui s’est occupée de l’artiste lors des dernières années de sa vie. Avec émotion, Ishtar Yasin confie les sources de son inspiration et révèle les secrets de son processus créatif.
Le titre de votre film, Dos Fridas, s’apparente à celui d’une des œuvres les plus emblématique de l’artiste, Las Dos Fridas. S’agit-il d’une référence?
Oui et non. C’est d’abord l’idée que le personnage de Frida Kahlo s’incorpore en Judith. Ayant moi-même éprouvé une vraie fascination pour cette artiste, j’aurais aussi pu le nommer Trois Fridas. Mais d’un autre côté, entre 1950 et 1954, période durant laquelle Judith a pris soin de l’artiste, Frida écrivait un journal intime. Un jour, en le lisant, j’ai découvert un poème sur l’amitié entre femmes qui a inspiré la création de la toile “Les deux Fridas”. Elle y raconte qu’à l’âge de six ans elle s’était crée une amie imaginaire à qui elle confiait tous ses secrets. Une amie qui l’accompagnait et savait l’écouter au quotidien. L’idée de nommer le film Dos Fridas vient peut-être aussi de là, même si je n’en suis pas certaine. La création artistique se veut à la fois consciente et inconsciente et certains choix que l’on fait ne peuvent pas vraiment s’expliquer. Reste alors une part de mystère. Je n’ai pas de réponse précise, j’aime que le spectateur soit actif et qu’il imagine sa propre histoire.
Dos Fridas revient sur la relation indéfinissable qu’a entretenu Frida Kahlo avec Judith, son infirmière. Pourquoi avoir choisi cette dernière pour incarner le personnage principal de votre film ?
Je ne voulais pas du tout faire une reconstruction historique de la vie de Frida. J’avais plutôt envie de faire un bond en arrière pour pénétrer dans leurs deux univers grâce à la mémoire de Judith. Comme moi, elle est costaricienne, cela a sans doute provoqué mon intérêt. Et puis, il se trouve que cette femme, de par son histoire, m’a touché. Comme Frida, elle a été victime d’un grave accident de voiture, à la différence que cet événement tragique s’est produit lors des dernières années de sa vie. Après cet accident, Judith disait ressentir Frida en elle, dans tout son être. Selon sa nièce, qui s’est occupé d’elle à la fin de sa vie et qui a co-ecrit le scénario, Judith en était même venu à s’habiller comme Frida, à se peindre les sourcils, et surtout, disait ressentir les mêmes douleurs que l’artiste. C’est assez fascinant.
Vous sentez-vous proche de ces deux personnages ?
Comme Frida, je suis à la recherche de mon propre langage et souhaite m’exprimer le plus librement possible. Judith, elle, est plus dans le contrôle, ça me ressemble moins. Sans aucun doute, elles sont toutes les deux très différentes. Il y a une sorte de dualité, une contradiction entre un personnage plutôt libre et un autre qui ne l’est pas. Pour autant, il est intéressant de constater qu’elles se complètent totalement.
D’après vous, Judith et Frida ont-elles été plus que de simples amies ? Quelle était la vraie nature de leur relation ?
La nièce de Judith a retrouvé une bague sur laquelle était gravée les lettres J et F. Correspondent-elles aux initiales de Judith Ferreto ou symbolisent-elles l’amour des deux femmes, je ne le sais pas. Je ne peux pas non plus dire si elles ont été amantes et franchement ça ne m’intéresse pas tellement. Elles avaient une relation à la fois physique et émotionnelle, fondée sur l’amour, la confiance et la spiritualité. Certains disent qu’elles ont eu une histoire d’amour, d’autre non. Moi, j’ai ma petite idée sur la question, mais je la dévoilerai pas. Chacun doit trouver sa propre réponse.
Justement, dans votre film, on aperçoit une multitude d’objets et de symboles qui peuvent, pour chacun, avoir une signification particulière. Est-ce une manière d’amener le spectateur vers sa propre interprétation de l’histoire ?
Bien-sûr. C’est exactement comme dans les peintures de Frida Kahlo, il y a de nombreux éléments face auxquels les spectateurs doivent trouver eux-même un sens. J’ai voulu leur donner cette possibilité afin qu’ils imaginent et ressentent le film avec leur coeur, et non avec leur raison. Il n’y a jamais une seule et unique lecture d’une oeuvre et c’est ça qui est incroyable dans l’art.
Selon vous, il existe deux types de cinéastes, ceux qui racontent des histoires et ceux qui font des poèmes. Où vous placez vous ?
Dans chacune de mes créations artistiques, je recherche la poésie, c’est très important pour moi. Certains cinéastes se « contentent » de raconter des histoires, d’autres construisent tout un univers. C’est ce deuxième aspect que je recherchais avec Dos Fridas, j’avais envie que le spectateur, grâce à divers d’éléments esthétiques comme la couleur et les espaces et grâce à des changement de temps et de rythme puisse pénétrer totalement dans le monde de Judith et Frida.
Propos recueillis par Philippine Kauffmann et Lio Viry