[FIFH 2022] I am not a witch : sorcières d’aujourd’hui

Une enfant de neuf ans est accusée de sorcellerie et condamnée à finir ses jours dans un “camp de sorcières”. C’est le scénario du film de Rungano Nyoni, diffusé au festival du film d’histoire de Pessac, mais c’est aussi une réalité au Ghana, en Zambie, au Kenya ou encore en Tanzanie.

Écoutez la chronique sur le film, diffusée dans le Journal du Festival, vendredi 18 novembre.

La jeune Shula se retrouve au commissariat : elle aurait fait trébucher une femme, par la force de sa pensée. C’est une sorcière, c’est certain. Qui ne dit mot consent : Shula est envoyée dans un camp de sorcières. Dans ces plaines de Zambie, des dizaines d’autres sorcières vivent, attachées par un ruban blanc dans leur dos, pour ne pas qu’elles s’envolent. Elles travaillent gratuitement pour le gouvernement, qui gère le camp, et posent pour les photos des touristes.

Camps de sorcières et poulets magiques

« J’ai pris la vérité et je l’ai exagérée, mélangée à mon imagination » explique la réalisatrice de I am not a witch, Rungano Nyoni. Née en Zambi, elle a grandi au Pays de Galles et vit aujourd’hui au Portugal. Rungano Nyoni est la première étrangère à ainsi avoir passé du temps dans un de ces camps de sorcières, au Ghana, où vivent une centaine de femmes. Lorsqu’un « expert » trace un cercle de poudre, tue un poulet et déclare que s’il meurt en dehors du cercle, Shula est une sorcière : voilà par exemple le récit d’une méthode encore utilisée.

Pourquoi sont elles accusées ?

Ghana, Zambie, Kenya, ou Tanzanie : les sorcières enfermées sont souvent des veuves dont la famille voulait se débarrasser (accusées d’avoir tué leur mari) ou bien des femmes influentes, qui ont fait des jaloux au village. Mais les jeunes, comme Shula, ne sont pas épargnés. En République Démocratique du Congo, dès lors qu’un·e enfant présente des troubles du sommeil ou du comportement, un handicap, ou une malformation, il ou elle peut être considéré·e comme un·e enfant-sorcier·e, selon l’Unicef. L’agence des Nations Unies ajoute que « la pauvreté, le manque de moyens pour subvenir aux frais de scolarité des enfants ou les dégâts de la guerre qui augmentent le nombre d’orphelins” contribuent aux accusations. Des systèmes judiciaires déficients laissent aussi libre cours à une justice populaire cruelle, basée sur des coutumes ultra-patriarcales.

I am not a witch : un conte tragi-comique

Si la matière du film est parfaitement documentaire et tragique, la manière avec laquelle Rungano Nyoni l’a traitée est comique, presque burlesque. La petite sorcière est déguisée, trimballée par un fonctionnaire du gouvernement -le parfait bouffon du pouvoir. Shula doit s’improviser juge dans des procès absurdes, promouvoir une marque d’œufs magiques à son nom sur un plateau TV. De longs plans séquences rendent ridicules des personnages, des situations. Le rire souligne l’absurdité de tout ce système. La réalisatrice revendique cette satire, cet “humour à la zambienne”. Elle refusait de céder à l’exotisation, au pathos habituel des films traitant de drames sociaux sur le continent africain. “I am not a witch” marche sur un fil entre la tragédie et la comédie… Le personnage de Shula, lui aussi, est loin de la candeur enfantine commune. Avec Shula, nous décryptons les règles du jeu et la difficulté de les briser. I am not a witch, c’est brillant, poétique, et politique.

Ségo Raffaitin