[FIFH2025] « Une va-t-en-guerre devenue pacifiste »

Après les sœurs Nardal et Violette Morris, Marie-Christine Gambart revient dans son dernier film sur une nouvelle figure historique féminine oubliée : Catherine Leroy, une des rares femmes photographes pendant la guerre du Vietnam.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de redonner vie à Catherine Leroy à travers un documentaire ?

L’idée du film, ​​Catherine Leroy, une Française dans la guerre du Vietnam, a été proposée par ma productrice, Amélie Jouan, avec qui je travaille depuis longtemps. Quand elle m’a proposé de raconter le parcours de cette photographe française, j’ai tout de suite été happée ! J’aime faire des films d’histoire, et particulièrement sur des femmes oubliées. Et j’aime bien les grandes gueules, je me reconnais un peu là-dedans. J’aime les femmes qui bataillent pour obtenir ce qu’elles veulent.

Déjà ses photos m’ont bouleversée. J’ai eu le sentiment de voir la guerre du Vietnam comme je ne l’avais jamais vue. Aussi je ne voulais pas faire de biographie. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre quels ressorts poussent une jeune femme de 21 ans, élevée dans un milieu conservateur, à partir dormir dans la boue avec des G.I. [nom donné aux soldats de l’armée américaine, NDLR]  qui font deux têtes de plus qu’elle. Sa trajectoire – va-t-en-guerre devenue pacifiste – est extraordinaire. Voir cette jeune femme qui un grandi dans un milieu nostalgique de l’Indochine épouser la cause de la lutte contre la guerre, ce n’est pas anodin.

Sa modernité m’a aussi touchée. Dans ses lettres, par exemple, elle écrit à sa mère depuis Saïgon en 1966 pour lui parler de la pluie, du beau temps, de ragots, lui demander de lui envoyer des Tampax… alors qu’elle est dans les tranchées ! C’est anecdotique mais tellement révélateur.

Comment construit-on un film fait presque uniquement d’archives ?

On avait déjà ses photos, et surtout ses lettres, publiées récemment par la dotation Catherine Leroy. Aussi je voulais que l’image soit entièrement portée par Catherine, donc aucun intervenant à l’écran. Mais puisqu’elle est décédée en 2006, on s’est contenté d’extraits d’interviews filmées dans les années 1990. Les interviews de personnes qui l’ont connue ne sont donc présentes qu’en voix off. On a aussi pu récupérer les enregistrements de témoins faits par la dotation il y a plus de dix ans : la voix de sa mère, celle de proches ou de collègues. De notre côté, nous sommes juste allés à la rencontre de certaines personnes comme Christine Spengler et Jonathan Randal [photographe de guerre et journaliste au New York Times qui ont connu Catherine Leroy, NDLR] .

Honnêtement, le film s’est fait avec une fluidité rare. La seule vraie difficulté a été le travail de recherche : repérer tous les bataillons avec lesquels Catherine avait circulé pour espérer trouver des images qui la montrent en pleine action. Pour cela il fallait faire une demande aux archives américaines, la NARA [National Archives and Records Administration, NDLR]. C’était assez fastidieux car entre-temps Donald Trump est arrivé au pouvoir et a supprimé beaucoup de postes aux archives.

Ce dont je suis le plus fière, c’est la qualité remarquable du montage. Il fallait faire avancer le récit au rythme de la guerre, et la construction du film épouse précisément les étapes que traverse Catherine. Pour moi, la force des archives est de permettre une immersion totale : on est littéralement à côté d’elle, dans la boue, dans les tranchées.

Pourquoi vos films reviennent-ils si souvent vers des figures de femmes oubliées ou des sujets de société qui les concernent ?

Je suis féministe, donc c’est vrai que j’aime raconter les femmes, qu’elles soient au cœur de l’histoire ou au centre de problématiques sociales. On me propose souvent des sujets. Je pense qu’on vient me chercher parce qu’on sait que j’ai une appétence pour ces questions et que j’essaie toujours de voir comment les raconter autrement. J’ai aussi la chance d’être entourée d’enquêtrices de top niveau.

Que ce soit les sœurs Nardal, pionnières de la négritude, presque effacées des mémoires, ou des films sur la minijupe ou l’alcoolisme au féminin, j’essaie de comprendre ce que ces histoires disent de notre société.

Je me pose toujours ces questions : pourquoi certaines femmes disparaissent-elles des récits officiels ? Pourquoi leurs traces sont-elles si rares ? C’est un véritable défi de faire un film avec presque rien, et en même temps, c’est ce qui me passionne.

Propos recueillis par Ana Puisset–Ruccella