[FIFH2025] Tabataba, subtil rappel des luttes du peuple malgache pour son indépendance 

En 1947, le peuple malgache se révolte. L’administration coloniale française réprime dans le sang ces espoirs d’émancipation : 100 000 malgaches perdent la vie.Tabataba, réalisé en 1988 par Raymond Rajaonarivelo, évoque avec finesse ces événements tragiques.

Quand un événement est oublié ou passé sous silence, la force du cinéma est d’en raviver les souvenirs, et les plaies. Avant de visionner Tabataba, réalisé en 1988 par  Raymond Rajaonarivelo, tous les spectateurs de la salle du cinéma Jean Eustache n’avaient pas en tête la répression perpétrée par l’armée coloniale français contre le peuple Malgache, en 1947. Il faut dire que les livres d’histoire n’en font pas mention. On parle pourtant de 100 000 morts : la France a longtemps voulu passer sous silence ces heures sombres, alors, Tabataba, premier long-métrage malgache sélectionné à Cannes, les rappelle. 

Le choix de ne pas montrer

Le décor est planté dans un petit village malgache. Des enfants courent après des poules, jouent à la toupie, des adultes travaillent…  Madagascar est alors une colonie française. Un jour, un membre du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), parti légaliste fondé en 1946, vient au village et prône un processus électoral pour l’autonomie de l’île. Les villageois refusent. “Les colons ont pris nos terres par la force, nous devons les reprendre par la force”, dit un jeune villageois révolté.

Plusieurs prennent le maquis, armés de faux, de lances et d’un fusil en bois. Rapidement, le village est occupé. Les femmes et les enfants doivent fuir en forêt. Les corps et les cœurs dépérissent.

Tabataba propose des plans longs, fixes et impose son rythme lent. En mémoire des événements, comme un recueillement, et pour laisser de la place aux personnages, à leur silence, leur regard, leurs déplacements. Aucun plan, aucune image d’archive des massacres. L’accent est mis sur la souffrance psychologique et sur l’errance des habitants du village. Le tout, vu par les yeux de Solo, un enfant confronté à la colère de ses aînés, à la violence des colons, à l’exil forcé dans la forêt…

Passeur de mémoire

L’enfant fait aussi l’expérience de la mémoire de son peuple, du vécu des plus âgés. La doyenne du village lui raconte des histoires que personne ne veut plus entendre. Elle qui regarde les hommes partir au combat s’éteint sur son fauteuil, au beau milieu d’un village déserté, vidé de ses habitants. Comme une part de mémoire qui s’envole. Raymond Rajaonarivelo prend le relais. 

Chaque plan du film est un fragment d’histoire, mis bout à bout pour ne rien oublier de ces événements et, surtout, des traces qu’ils ont laissées. Les négatifs utilisés lors du tournage en 1988 ont d’ailleurs été restaurés en 2022 par la Cinémathèque française, la Cinémathèque Afrique de l’Institut français, et le réalisateur lui-même. 

Entre poésie et récit dramatique, Tabataba ravive la mémoire des massacres perpétrés par l’administration coloniale française et la lutte d’un peuple pour son indépendance. Une nécessaire piqûre de rappel, une importante leçon d’histoire, face à un Etat qui a très souvent tendance à taire sa responsabilité, et à une société oublieuse.

Jean Rémond 

Tabataba, de Raymond Rajaonarivelo, 1988, documentaire malgache, 1h30