[FIFH2025] « Orwell 2+2=5 » tente de décrire la fascisation de nos sociétés

Après s’être attaqué à des monuments comme Karl Marx et James Baldwin, le cinéaste Raoul Peck cherche une nouvelle fois à susciter un éveil des consciences. Cette fois-ci, il revient sur les derniers jours de l’écrivain George Orwell, et tente de faire résonner sa pensée avec notre monde contemporain. Mais son approche tant globale qu’élitiste peine à produire l’écho espéré.

De l’Inde britannique aux plaines écossaises de l’île de Jura où il finit ses jours, Raoul Peck dépoussière la vie de Georges Orwell, auteur d’une des dystopies les plus connues au monde : 1984. Ce roman aux allures prophétiques, paru en 1948, décrit avec brio les mécanismes de fascisation et d’autoritarisme de nos sociétés actuelles.

Le documentaire commence par la lecture d’un texte méconnu de l’écrivain, lu par l’acteur Damian Lewis- connu pour sa participation à la série Homeland : « J’écris car je veux dénoncer le mensonge et l’injustice ». 

“La guerre c’est la paix”

Pendant près de deux heures, des images d’archives de guerre – présentées comme “des opérations de maintien de la paix” – sont mises en miroir avec ce que dénonçait George Orwell : la manipulation des mots et de leur sens pour affaiblir les idées. Et par répercussion, nos capacités de réflexion et de résistance. Les phrases prophétiques de 1984 résonnent encore : « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage », « L’ignorance, c’est la force ».

Le film donne l’impression que tous les ingrédients de l’autoritarisme ont toujours été présents, de la guerre froide à nos jours. Jusqu’au point de rupture incarné par l’administration Trump. Pendant plus d’une minute, un graphique alarmant énumère les livres interdits dans le monde ces dernières années, tout particulièrement aux États-Unis.

Un trop plein d’images

Mais l’admirateur du militant marxiste James Baldwin ne se contente pas de ce panorama et superpose plusieurs représentations cinématographiques de l’œuvre de Georges Orwell, dont “La ferme des animaux”. 

En l’espace de trente secondes, on passe d’images de Marioupol en Ukraine, à des parades militaires chinoises en passant par la Birmanie. 

Résultat, les séquences sont courtes. Parfois jusqu’à en donner le tournis. Comme un scrolling infini, un mouvement inarrêtable. Comme si Raoul Peck voulait pénétrer notre cerveau à l’aide d’un montage vidéo stroboscopique. 

Paradoxalement, le documentaire laisse dans l’ombre un certain nombre d’enjeux de son époque. Poutine et Donald Trump sont omniprésents. Un autre dirigeant apparaît étonnamment discret : Benjamin Nétanyahou. Si bien qu’”Orwell 2+2=5” résonne avec une actualité qui n’est plus la nôtre. 

Pourtant, le premier ministre israéelien n’a-t-il pas fait de « la guerre c’est la paix » sa maxime depuis le début du 7 octobre 2023 ? Un véritable combat sémantique autour du conflit à Gaza se déroule dans les médias depuis maintenant deux ans. Attaque défensive ? Génocide ? Colonisation ? Résistance armée ? Famine ? Sont autant de mots posés sur une réalité tragique. 

La démonstration du réalisateur aurait gagné à s’articuler autour d’une matière moins dense, en se concentrant sur seulement quelques exemples. En cherchant à tout prix à produire une œuvre monde, le réalisateur a perdu en clarté et peine à faire revivre ces concepts, plus que jamais d’actualité.

Jean-Baptiste Stoecklin 

« Orwell 2+2=5 », Raoul Peck, film américano-français, 2h00.