[FIFH2025] Nan Goldin, la fureur de vivre d’une artiste hors norme

Dans Toute la beauté et le sang versé, la photographe et activiste Nan Goldin se dévoile comme jamais. Sacré Lion d’or à la Mostra de Venise en 2023, le film retrace avec brio sa vie dans les milieux underground, en filigrane de son combat actuel contre la crise des opioïdes aux États-Unis.

Rien ne prédestinait Nan Goldin à devenir une icône flamboyante de la marginalité. Née en 1953 au sein d’une famille juive ashkénaze de la middle class américaine, elle étouffe sous les normes austères qu’on tente de lui imposer. Le suicide de sa sœur, enfermée en hôpital psychiatrique, puis le silence insupportable de ses parents l’arrachent à l’idée d’une vie « normale ». La jeune photographe en devenir prend la fuite.

Dès lors, Nan Goldin choisit les marges comme refuge et comme source d’inspiration. Son ami, le photographe David Armstrong, l’introduit dans le monde des drag queens, où son regard unique sur la marginalité prend forme. L’artiste ne quittera plus jamais l’underground. Hippies, travailleuses du sexe, communautés queer, artistes fauchés : tous deviennent sa famille, sa « tribu ».

Quête de vérité

Tout au long du documentaire, ses photos se succèdent. Tellement brutes, tellement vivantes que certaines semblent presque en mouvement, nourries par les commentaires de sa voix rocailleuse – quasiment la seule qu’on entendra. 

Au silence de ses parents, Nan Goldin oppose une quête de vérité totale, à travers une photographie sans filtre, trash, parfois violente. Son appareil photo, qu’elle ne quitte plus depuis l’adolescence, devient à la fois un bouclier et un miroir. C’est une première dans le monde de l’art : l’artiste se dévoile entièrement, aussi bien dans ses rapports sexuels qu’après son passage à tabac par son ex-petit ami.

En ressort une série photographique intitulée La Ballade de la dépendance sexuelle, un cri rageur né de la nécessité vitale de prouver que ces vies marginales existent et qu’elles sont politiques. Nan Goldin fait de sa vie un documentaire et photographie ses amis de la première rencontre jusqu’au cercueil — comme l’artiste et écrivaine Cookie Müller, morte tragiquement du sida.

Une vie de combats

À plus de soixante-dix ans, la photographe, désormais exposée dans les plus grands musées du monde, n’a rien perdu de sa fureur de vivre. Devenue accro à l’OxyContin à la suite d’ une opération banale, l’ancienne héroïnomane comprend rapidement qu’elle a été prise dans un engrenage industriel. Cet antidouleur, en plus d’être extrêmement addictif, a provoqué des overdoses par centaine de milliers.

Le documentaire raconte comment, après quelques recherches, elle découvre que derrière l’explosion de ces opioïdes se trouve la famille Sackler, mécène des plus grands musées du monde (le Louvre, le Guggenheim, le Met, etc.), où elle expose depuis des années. En réaction, avec son collectif PAIN, elle décide de rendre cette responsabilité visible. Le groupe d’activistes mène des interventions spectaculaires dans les musées financés par les Sackler : die-in au Met, pluies de fausses ordonnances au Guggenheim de New York… Jusqu’au procès. Victoire : Nan Golding et ses acolytes obtiennent le retrait du mécénat Sackler de plusieurs de ces institutions culturelles à partir de 2021.

Cette quête de vérité, l’artiste – toujours aussi intransigeante – finit par la mener aussi au sein de sa propre famille. Dans une ultime scène déchirante, son enquête questionne le rôle de sa mère dans l’internement de sa sœur en psychiatrie, blessure originelle qui impactera toute son existence.

Jean-Baptiste Stoecklin

Toute la beauté et le sang versé, Laura Poitras, film américain, 2h07.