[FIFH2025] La guerre du Vietnam à travers les yeux de Catherine Leroy

Avec Catherine Leroy, une Française dans la guerre du Vietnam, la réalisatrice Marie-Christine Gambart tire de l’ombre une photographe intrépide, dont l’objectif a capté, mieux que quiconque, la réalité du front vietnamien.

Des nattes blondes, des yeux intrépides, une silhouette frêle perdue au milieu des imposants soldats américains : ainsi apparaît Catherine Leroy, 21 ans, lorsqu’elle débarque au Vietnam. Armée de son petit appareil, un Leica M2, elle est bien décidée à affronter l’une des guerres les plus sanglantes de la deuxième moitié du XXe siècle. Consciente que le milieu de la photographie française demeure trop conservateur pour laisser une place à une femme, elle tente sa chance auprès des Américains, et rencontre Horst Faas, photographe de l’Associated Press. Il devine immédiatement qu’elle ment sur son expérience, mais sa détermination l’impressionne : il lui obtient une accréditation militaire. Son culot rare, presque insolent, force l’admiration.

Dans son documentaire Catherine Leroy, une Française dans la guerre du Vietnam, Marie-Christine Gambart retrace avec précision ce parcours aussi improbable que fulgurant. À peine arrivée, la jeune photographe se glisse dans les rangs des G.I. (nom donné aux soldats de l’armée américaine) , pour la plupart à peine plus âgés qu’elle, et avec lesquels elle noue de véritables liens d’amitié. Grâce à sa petite taille, elle s’infiltre partout : dans les tranchées, les rizières, la boue, les hélicoptères.

Et si elle photographie la guerre au plus près, elle capte aussi l’humanité de ces jeunes hommes devenus, dit-elle, « des copains, des frères ». Elle dort avec eux, mange avec eux, chante avec eux, rit avec eux. Un rapport intime au terrain, unique pour une photographe de guerre, qui donne naissance à des images que personne n’avait jamais réalisées. Catherine devient à la fois témoin de la guerre et témoin de ce qu’elle endure elle-même.

Une personnalité clivante

Le documentaire rappelle que Catherine Leroy n’est pas seulement une photographe exceptionnelle : c’est aussi une femme, téméraire, obstinée, souvent déroutante, qui peut déranger. En 1967, en marge de l’opération « Junction City », elle écrit à sa mère : « Je viens d’avoir le feu vert du département d’État américain pour sauter avec les paras. Je suis folle de joie ! Je serai la première femme à faire un saut opérationnel au Vietnam, et je ferai les photos pour des magazines américains. » Cette phrase résume le personnage : une jeune femme prête à tout pour faire les meilleures images, intrépide au point de risquer sa vie sans hésiter. Elle avait d’ailleurs pratiqué le parachutisme avant la guerre, un détail qui explique la force de certains clichés qu’elle rapporte du front.

Le film montre aussi que cette énergie fulgurante s’enracine dans une longue bataille personnelle : celle qu’elle a menée, dès l’enfance, contre un asthme sévère. Une fragilité que Catherine transforme en moteur, presque en défi permanent lancé au monde. Ce goût pour la confrontation se retrouve également dans les insultes qu’elle lance à longueur de journée. Elle jure beaucoup  « comme un chartrier », raconte le journaliste du New York Times Jonathan Randal, et ne supporte pas qu’on lui barre la route. Loin de la simple vulgarité, un moyen peut-être pour une femme dans un milieu d’hommes de s’imposer.

Un autre basculement profond s’opère aussi chez Catherine. Arrivée au Vietnam avec une détermination teintée d’insouciance, élevée dans une famille encore nostalgique de l’Indochine, Catherine se transforme au contact des G.I. qu’elle photographie. Elle devient peu à peu pacifiste et accompagne certains soldats dans les manifestations antiguerre. Un état d’esprit qui la mène jusqu’à Woodstock, en 1969, où elle retrouve plusieurs vétérans, appareil photo toujours en main.

Un récit immersif

Catherine Leroy, disparue en 2006, n’a jamais souhaité écrire ses mémoires et s’est très peu confiée sur ce qu’elle avait traversé. Le documentaire se construit donc exclusivement à partir d’archives : images militaires, photos, extraits de ses rares interviews données dans les années 1990, et témoignages en voix off de ceux qui l’ont connue. Malgré cette absence de parole directe, le film parvient à suivre la guerre à travers son regard.

Nous sommes avec elle, au sol comme dans les airs, dans les moments de joie comme dans les instants de terreur. Cette construction offre une immersion saisissante. Le film gagne encore en proximité grâce aux lettres que Catherine envoie à ses parents, dont la lecture par Judith Perrignon (co-autrice du documentaire) apporte une douceur inattendue.

Ses photographies, elles, racontent ce qu’elle ne peut exprimer : le soldat Vernon Wike tenant son camarade à l’agonie, les civils dont le visage trahit la peur, les paysages dévastés, les corps enveloppés dans des couvertures. La mort est omniprésente, mais jamais exposée frontalement. Catherine privilégie la pudeur à la spectacularisation. On ressort admiratif de ce portrait intense. Le documentaire réhabilite brillamment cette photographe téméraire, qui a vu ses photos publiées dans le monde entier mais dont le nom fut progressivement oublié.

Ana Puisset–Ruccella

Catherine Leroy, une Française dans la guerre du Vietnam de Marie-Christine Gambart, film français, 52 minutes