[FIFH] «Le ciel est à elles», la postérité pas encore

Diffusé à la télévision en 2021 mais projeté pour la première fois sur grand écran au Festival international du film d’Histoire 2023, « Le ciel est à elles » est un documentaire, récit du parcours de trois grandes aviatrices des années 20

Maryse Bastié passe son brevet de pilote à Bordeaux en 1925, alors âgée de 27 ans.

« Le rêve le plus fou de l’homme, voler ». Le film s’ouvre sur ces mots, et on se dit que les femmes qui ont osé conquérir le ciel ont elles aussi su faire preuve d’une belle folie. A travers une superposition d’images d’archives, la voix envoûtante de Suliane Brahim, de la Comédie Française, raconte le destin de trois pionnières, femmes et aviatrices dans les années 1920-1930.

Adrienne Bolland, Maryse Bastié, et Hélène Boucher n’ont cessé d’accumuler les exploits, de s’élancer encore à la poursuite de l’azur. Ce documentaire est un véritable travail d’orfèvre qui recompose leur parcours, pourtant si difficile à documenter. Car à l’heure de la presse florissante des années folles, les médias ont des œillères sur les succès des femmes. La réalisatrice Valérie Manns a du se contenter des deux seules minutes d’images jamais enregistrées d’Adrienne Bolland, pour raconter son histoire aux côtés de ses paires.

Courage et violence

Le défi est relevé. La mise en scène romanesque embarque le spectateur dans la carlingue des voltigeuses de l’air. Quand l’appareil chevrote on tremble avec elles, et on comprends le courage exceptionnel dont ces femmes ont fait preuve. Délaissées des financeurs, c’est avec un matériel incertain qu’elles ont réalisé des exploits qu’on disait impossibles : les 212 loopings de Maryse Bastié ; la traversée de la Cordillères des Andes d’Adrienne Bolland ; le record de vitesse à plus de 400 km/h d’Hélène Boucher.

On les présente comme des femme intrépides, désinvoltes et effrontées. Adrienne Bolland veut «traverser la mort car la vie ne l’amuse pas du tout » ; Hélène Boucher raconte que « voler est la seule chose qui (lui) donne l’impression de vivre ». Le film confesse la violence de l’aviation féminine : pour voler en étant femme, il leur fallu agir au ras de la mort, s’y frotter plus encore pour tenter de glaner quelque légitimité auprès de ce milieu d’hommes. Après ces missions suicidaires mais réussies, nulle foule pour les attendre. Pas de médias, pas d’euphories; quelques récompenses polies. Maryse Bastié, recevant la légion d’honneur confesse simplement : « on m’oubliera ».

Monstrueusement libres

On ne sait pourquoi, chacune des passions de ces femmes reste justifiée par leurs liens à des hommes. La narratrice mentionne le « père vénéré » d’Adrienne Bolland ; Hélène Boucher est dite « adulée par un père qui lui donne confiance en elle ». Quand à Maryse Bastié, pour romancer ses 38 heures de vol, véritable record, la narratrice raconte : « Elle songe à son père et son amour inconditionnel, à son frère, à son défunt mari ». Il aura manqué une mise à distance, une explication sur le choix de raconter les femmes en mentionnant systématiquement les hommes de leurs vies.

C’est d’autant plus regrettable que le film démontre bien la rhétorique de l’époque : une femme libre et sans homme est perçue comme un monstre. La presse salue l’exploit de Maryse Bastié en évoquant son physique « monstrueux » à la descente de son coucou, après un jour et demi de vol sans interruption. Celle-ci explique elle-même, tout sourire à la caméra : « Mon entourage me trouve monstrueuse de préférer mon zinc à tout homme ». Une formulation que la narratrice reprend à son compte sans nuances : « Tous les hommes qu’elle a aimé sont morts. Elle est devenu ce monstre, cette carapace de métal.» Là encore, une mise à distance eut-été souhaitable.

Aude Cazorla

« Le ciel est à elles », documentaire français de 55 minutes, réalisé par Valérie Manns