Loin des célébrations de la victoire des alliés, « L’autre 8 mai 1945 » revient sur la répression française du peuple algérien. Réalisé en 2008 ce documentaire résonne toujours comme un devoir de mémoire.
La réalisatrice Yasmina Adi ouvre son documentaire sur un parallèle saisissant : un grand défilé parisien du 8 mai mis en abîme avec une manifestation à Sétif en Algérie. Tandis que la commémoration de la victoire des alliés se déroule dans la joie, les images de la manifestation de l’autre côté de la méditerranée montrent des pancartes comme « Massacre de 1945 ». Ces vidéos contemporaines transportent le téléspectateur plus de cinquante ans auparavant, lorsque le peuple algérien a réclamé son indépendance et que la France l’a réprimé dans le sang. Ces massacres dans les villes de Sétif, Guelma et Kheratta ont lancé un compte à rebours qui a abouti à la guerre d’Algérie. Les historiens estiment le nombre de morts entre 10 000 et 30 000, un nombre sur lequel ils peinent à s’accorder.
Une douleur encore très vive
La réalisatrice guide le téléspectateur sur des cartes de l’Algérie. Elle mêle ces repères géographiques à des images d’archives de l’INA pour introduire des explications accessibles au grand public sur les forces politiques en présence côté algérien comme le PPA, le Parti du peuple algérien et les militants du AML les Amis du manifeste et de la Liberté. Dès lors que le décor est planté, les témoignages des victimes algériennes et de témoins français qui vivaient en Algérie lors des violences se succèdent à l’écran. Ces témoignages seront le fil rouge du documentaire. Les plans sont serrés sur le visage des témoins permettant de capter chaque regard, chaque expression, ce qui en augmente encore la charge émotionnelle. Ils racontent le sang versé, les proches disparus, et les violences de l’armée française à jamais inoubliables.
Le documentaire emmène le téléspectateur dans les montagnes de Sétif où un berger témoigne des meurtres des prisonniers algériens qui y eurent lieu. La réalisatrice fait ensuite le choix de montrer les corps meurtris des images d’archives en noir et blanc.
Une lecture sans tabou
Au-delà de la force des images et des récits, le documentaire offre une prise de recul sur les événements avec l’intervention de l’historien Pascal Blanchard, spécialiste du colonialisme. Celui-ci apporte une mise en perspective en exposant les mécanismes idéologiques du colonialisme et en contextualisant les images du film, débouchant sur une lecture sans tabou de l’Histoire. Le documentaire met en lumière le rôle de nombreux médias français qui ont instauré un climat de peur en France sur les troubles en Algérie. Des images de journaux d’époque s’affichent en grand sur l’écran, stigmatisant la population algérienne. Ces derniers ne faisaient état que des violences contre les français et omettaient volontairement les violences dont étaient victimes les Algériens.
Durant 52 minutes, Yasmina Adi rouvre une blessure historique encore vive. Elle permet aux spectateurs de dépasser une émotion brute en l’appuyant sur des faits incontestables, nourris de points de vue croisés. 80 ans après ces événements tragiques concomitants de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce film s’impose comme un devoir de mémoire collective, des deux côtés de la méditerranée.
Sofia Goudjil
L’autre 8 mai 1945, de Yasmina Adi, documentaire français, 52 mn
