Raconter la vie d’un homme qui a trompé tout le monde, y compris sa famille, en se faisant passer pour un survivant des camps de concentration : c’est le défi que relève Marco, l’énigme d’une vie, biopic des réalisateurs espagnols Aitor Arregi et Jon Garaño.
Des images d’archives en noir et blanc, celles des camps de concentration. Puis, retour au présent, à la couleur, ou presque. Le camp de Flossenbürg se détache à peine dans le brouillard, sous une lumière blafarde. Un clap de cinéma apparaît. « Action ! » C’est l’heure de la vérité inventée, celle d’Enric Marco. Depuis des années, le président de l’Amicale de Mauthausen, organisation pérennisant la mémoire d’anciens déportés, se fait passer pour l’un d’entre eux.
Sur fond de musique inquiétante, la plongée dans le mensonge commence. Bien décidé à amadouer son interlocuteur, Marco pose une butifarra, spécialité catalane, sur le bureau de l’accueil du camp. Il vient chercher un certificat de déportation pour parfaire son mensonge.
Au coeur de l’imposture
Les contours du personnage sont tracés. Le spectateur est averti. Immunisé contre le côté « enchanteur » du personnage, comme le décrit Jorge Gil, scénariste du film, qui l’a rencontré. Tout au long de la projection, on ne cessera de ressentir du mépris pour celui qui s’est approprié durant plusieurs décennies la douleur des déportés, pitoyable dans ses tentatives désespérées de persister dans un mensonge qui finira par ne plus opérer.
Bien que méfiant et distant vis-à-vis d’Enric Marco et de son imposture, le spectateur, par la puissance de la mise en scène et du jeu d’acteur, n’en ressent pas moins les émotions du personnage, comme si elles étaient les siennes. Il en vient de même à se défier tout autant de Benito Bermejo, historien qui cherche à prendre le menteur en défaut. Il est le gêneur, l’antagoniste, celui qui met dans l’embarras en quelques répliques.
Marco de l’autre côté du miroir
En jouant sur le reflet de Marco dans un miroir, une vitre ou même une table, la caméra illustre la dualité du personnage. Il y a d’abord celui, dont l’assistance bouleversée boit les paroles, et celui qui, au fur et à mesure de l’histoire, se retrouve pris au piège des failles de sa fausse identité.
Au moment où le scandale est révélé en 2005, tout se renverse en un instant. Le masque tombe : la caméra aussi. Le personnage autour duquel tout tournait se trouve soudain seul face aux autres. Le silence s’installe et précède les insultes. Enric Marco n’est plus qu’un « personnage » sans public, dépossédé de son rôle, qui était devenu pour lui une véritable identité.
Athéna Salhi
Marco, l’énigme d’une vie, Aitor Arregi et Jon Garaño, 2024, 1h41, Espagne. Sortie en France le 11 juin 2025.