Avec Non ou la vaine gloire de commander, sorti en 1990, le réalisateur Portugais Manoel de Oliveira propose une fresque historique, presque philosophique sur l’héritage du Portugal. Une critique acerbe de la guerre et d’un impérialisme belliqueux.
Retracer en 1h50 près de 2000 ans d’histoire et d’héritage portugais. Voici le pari un peu fou qu’entreprend Manoel de Oliveira, avec son film Non ou la vaine gloire de commander. Une ambition presque démesurée, aux ressorts pourtant on ne peut plus simples. En pleine guerre d’indépendance de l’Angola en 1974, un groupe de soldats portugais s’interroge sur la violence, les conflits et le patriotisme. Leur chef, le sous-lieutenant Cabrita, ancien professeur d’histoire, se lance alors dans le récit des défaites les plus cuisantes de son pays.
Sorte d’officier-philosophe, Cabrita nous plonge alors dans les limbes de l’histoire portugaise, du légendaire chef lusitanien Viriate (au deuxième siècle avant J.C) jusqu’au roi Sébastien Ier (commandant de la bataille des Trois Rois en 1578). Le cadre immersif et réaliste du camion militaire, où la discussion se déploie, laisse régulièrement la place à de grands champs de bataille épurés, lors des nombreux flashbacks. Musique mystique et plans très larges, le tout est bien loin de l’esthétique hollywoodienne de la guerre. La violence y est moquée, ridiculisée. Les soldats, cloués au sol, tombent comme des playmobils face aux lances adverses, ou aux boulets de canons, projetés à une vitesse comiquement faible. Manoel de Oliveira nous propose ici une vision profondément anti-héroïque de la guerre.
Une histoire très européenne
Scène après scène, nous assistons non seulement à une série d’échecs militaires mais aussi à la faillite d’un projet d’empire. Le roman national y est taillé en pièces. Le lieutenant Cabrita le répète, comme porte-parole du cinéaste portugais, l’important ce ne sont pas les victoires ou les conquêtes, qui servent un nationalisme vain et meurtrier, mais bien les “legs”, ce que le Portugal laissera à l’Histoire universelle. Une postérité longuement discutée dans une forme d’intimité, grâce à des plans très rapprochés des soldats. Le tout porté par des dialogues efficaces.
Cette histoire universelle, presque mythifiée comme héritage de l’Humanité toute entière est, malgré tout, une histoire très européenne, bien silencieuse sur le colonialisme et la domination occidentale. Les découvertes de Vasco de Gama, comme celles de Christophe Colomb, y sont contées comme l’an 0 d’un monde extra-européen.
Alors que l’intrigue principale se déroule en pleine guerre d’indépendance de l’Angola, l’ancienne colonie portugaise est réduite à une forme de concept lointain. Les Angolais sont des ombres. Pendant quelques secondes, un combattant blessé crie, à l’agonie, puis sort du champ. Ce sera la seule apparition de la réalité coloniale.
Difficile d’accabler son réalisateur, qui affichait déjà 82 ans au compteur en 1990. Mais en 2024, ses impensés résonnent. Un décalage frappant dans cette fresque historique à la vision supposément universelle. Témoignage d’un fossé entre deux époques
Marius Joly
Non, ou la vaine gloire de commander, de Manoel de Oliveira, Portugal, 1h52, 1990.