Pour faire son deuil, le réalisateur d’origine rwandaise Gaël Kamilindi cherche à connaître sa mère, morte quand il avait cinq ans. En faisant dialoguer des photographies et autres archives avec les récits de ses proches, le documentaire coréalisé avec François-Xavier Destors reconstruit de manière poétique l’histoire de Didy, partagée par toute une génération de femmes Tutsis. Une véritable ode à la résilience.
Avec la perte d’un proche vient la peur de l’oubli. Mais comment se souvenir d’une mère que l’on a pas vraiment connue ? Lorsque Didy est morte, Gaël avait cinq ans. Seules des bribes d’odeurs, de voix, de sensations persistent. Mais elles ne comblent en rien ce vide qui le percute une fois adulte.
C’est pour tenter de connaître sa mère et d’ainsi trouver sa propre place que Gaël Kamilind, acteur de la Comédie française, coréalise avec François-Xavier Destors son premier film documentaire, Didy.
Pour rassembler les morceaux qui dresseront le portrait touchant de cette femme, les réalisateurs nous emmènent au Rwanda, où Didy est née et a grandi. Les nombreux plans de paysages immobiles et le chant récurrent des oiseaux suggèrent un pays paisible — ce qui contraste avec la violence que ce dernier a pourtant connu. C’est un véritable voyage auquel les réalisateurs nous invitent. Spatial, mais aussi temporel : les photographies en noir et blanc, les lettres manuscrites et surtout les témoignages des soeurs et amies de Didy nous ramènent des décennies en arrière, à partir des années 1930.
Didy ne retrace pas seulement la vie de celle qui porte ce surnom, c’est aussi l’histoire de toute une génération de femmes et d’hommes Tutsis. Toujours par les témoignages, cette histoire raconte de manière chronologique l’enfance, les discriminations, la prison, mais aussi les nuits de fête. Vient le moment où Didy accouche de Gaël, avant de décéder cinq ans plus tard et de laisser derrière elle une famille endeuillée. Cette dernière sera prise quelques années après dans le génocide des Tutsis, perpétré par les Hutus en 1994.
Mais Didy, c’est aussi et surtout le récit universel d’un jeune homme qui entame son deuil. Il cherche sa mère dans le visage de ses proches, et tente de trouver une preuve de l’amour qu’elle lui portait. Avant tout, Gaël, et par la même occasion les spectateur·ices, écoutent celles et ceux qui l’ont connue. Paradoxalement, de la violence, de la douleur et de la souffrance dont témoignent ces proches ne ressortent que de la sérénité. Au-delà des regrets, des zones d’ombres et des pleurs qui bouleversent inévitablement celles et ceux qui traversent un deuil, Gaël Kamilind semble donner un sens à la vie et la mort injuste de sa mère. Il veut renouer avec son histoire et celle de son pays pour enfin trouver sa place dans le monde.
Mais quelle est la cause de la mort précoce de sa mère ? Et d’ailleurs, qui est son père ? Le documentaire laisse planer une once de suspens : les réponses à ces questions qui nous travaillent dès les premières minutes arriveront plus tard.
Alors qu’il est l’un des personnages majeurs de cette histoire, Gaël reste discret, et prend étonnamment peu de place dans le film. Mais dès lors que son visage apparaît dans le champ, ou que sa voix se fait entendre, son apaisement se ressent.
La douceur qui émane du film se retrouve d’ailleurs dans la palette de couleurs utilisée, lumineuse et chaleureuse.
Les plans sont toujours très rapprochés, ce qui nous plonge dans l’intimité de cette famille empreinte de bienveillance : à chaque fois que l’une de ses tantes raconte une scène à Gaël, c’est comme si l’on était assis·e à ses côtés. La proximité est telle qu’on ne nous fait pas les présentations, ce qui peut être déroutant pour qui cherche à tout comprendre.
François-Xavier Destors et Gaël Kamilindi nous offrent un récit authentique, où les dialogues sont vrais : on y distingue les hésitations, les fautes de français, les maladresses, les pauses. Il n’y a pas de fioritures et on laisse place aux silences qui en disent tant.
Didy offre un contraste constant entre la brutalité des événements évoqués et l’atmosphère presque méditative du film. Il invite à une réflexion autour de la résilience et de l’importance de continuer à se rassembler pour faire exister une vie effacée. C’est un film qui, à l’image du deuil, prend son temps.
Agathe Di Lenardo
Didy, de Gaël Kamilindi et François-Xavier Destors, Suisse France et Rwanda. 1h25, sorti le 14 avril 2024.