Avec Au pays de nos frères, Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi tissent une fresque bouleversante, entre ombres et lumières, pour raconter la résilience des Afghans en exil. Un récit qui interpelle habilement, sans tomber dans le misérabilisme.
Entre l’Iran et l’Afghanistan, il n’y a qu’une frontière. Mais les cinq millions de réfugiés afghans qui l’ont traversée pour fuir l’enfer de la guerre et des Talibans sont confrontés chaque jour à bien d’autres obstacles pour s’intégrer dans une société fondamentalement inégalitaire. Dans Au pays de nos frères, les jeunes réalisateurs iraniens Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi traversent trois décennies pour livrer un récit profondément humain.
Liés par des personnages récurrents, trois « chapitres » dressent un tableau glaçant des difficultés socio-économiques auxquelles font face ces « frères » en terre étrangère. En 2001, Mohammad (Mohammad Hosseini), jeune lycéen, endure silencieusement les abus des policiers qui profitent de son statut de sans-papiers. Dix ans plus tard, Leila (Hamideh Jafari), domestique d’une famille aisée, cache la mort de son mari pour ne pas risquer l’expulsion. Quant à Qasem (Bashir Nikzad), en 2021, il porte devant sa femme le poids d’une vérité indicible : la mort de leur fils, qu’il pensait parti étudier en Turquie mais qui combattait en fait en Syrie.
Le silence, arme à double tranchant
Le film s’enracine dans un thème central : le silence, à la fois comme moyen de survie et comme source d’aliénation. Ce silence est intimement lié à la famille, pilier du récit et motif récurrent du cinéma iranien. Pour tous les protagonistes, la famille est à la fois une ancre et une source de sacrifices. Leur résilience s’illustre par leur volonté viscérale de protéger les leurs, au prix de leur propre souffrance.
Les réalisateurs reconstituent avec brio une société pleine de contrastes, illustrée par une scène particulièrement marquante : dans une maison vue de côté, le spectateur observe Leila pleurer silencieusement à l’étage, plongée dans l’obscurité, tandis que la famille iranienne qu’elle sert rit et danse en bas, dans un bain de lumière et de joie. Ce contraste cruel entre l’invisibilité des réfugiés et la vie bruyante de leurs hôtes cristallise le sentiment d’injustice. Un sentiment porté par la justesse du jeu d’acteur, en particulier celui de Mohammad Hosseini, dont le regard porte à la fois la rage d’une innocence brisée et la gentillesse envers les siens.
Un voyage sonore et visuel maîtrisé
En filigrane, la bande-son mélancolique de Frédéric Alvarez sublime l’ensemble. Violons et violoncelles entrecoupent les séquences avec une sensibilité poignante. La palette de couleurs, dominée par des tons froids et désaturés, amplifie le sentiment d’isolation et de dureté. La diversité des paysages iraniens est magnifiquement capturée, des routes enneigées de Bodjnourd aux plages grises de Bandar-e-Anzali.
Mais elle souligne aussi un paradoxe amer : où qu’ils soient, les Afghans ne trouvent jamais leur place.En survolant trois décennies différentes, Au pays de nos frères fait subtilement écho à l’histoire contemporaine de l’Iran. Si la société évolue, la situation des réfugiés afghans, elle, reste figée dans une marginalisation impitoyable. L’idée culmine dans une scène finale au cynisme absolu : un discours patriotique loue les sacrifices des « frères afghans » qui ont combattu pour la République islamique. Mais ce sacrifice ne va que dans un sens : au fond, leur douleur et leur sang nourrissent une nation qui ne les accepte jamais vraiment comme siens.
Justine Manaud
Au pays de nos frères, de Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, Iran, 1h35. Sortie en France le 19 mars 2025.