[FIFH 2023] Makino Nobuaki, visage du paradoxe japonais

Dans son documentaire “Le Baron et l’Empereur”, Cédric Condon explore un pan méconnu de l’histoire du Japon à travers la figure du baron Makino Nobuaki.

1868. Le Japon entre dans l’ère Meiji. Le pays du soleil levant sort de son long isolement et s’ouvre au monde. Le jeune Makino Nobuaki n’a que sept ans et il ne sait pas encore qu’il deviendra l’une des figures les plus influentes de son pays. 

C’est en s’appuyant sur la vie de ce fils de samouraï, devenu ambassadeur, ministre des Affaires étrangères puis conseiller personnel de l’empereur Hirohito entre 1925 et 1935, que le réalisateur Cédric Condon retrace l’entrée du Japon dans le XXe siècle. Durant plus de cinquante minutes, il dépeint avec brio l’histoire de la modernisation à marche forcée d’un pays pétri de traditionalisme, que les tentations militaristes et nationalistes guideront jusqu’à la guerre. 

Mémoires

Tout l’intérêt de ce documentaire réside dans les mémoires écrites du baron Makino Nobuaki, lues par la voix française d’Emmanuel Audibert. Chaque phrase, chaque mot du baron résonne comme un sage avertissement au-delà de sa propre époque.  

Ses mémoires plongent le spectateur dans une société japonaise remplie de paradoxes. L’idée est simple, elle n’en demeure pas moins géniale. Car les contradictions du Japon, le gardien du sceau impérial les porte au plus profond de son être. Cet enfant de la noblesse, fortement attaché aux valeurs ancestrales de son pays, possède un esprit ouvert sur un monde qu’il a parcouru de long en large dans ses jeunes années. 

Face au sage Makino Nobuaki, se déploie une galerie d’antagonistes. Il y a Fumimaro Konoe, un aristocrate conservateur à la vie de débauche – paradoxes encore. Il y a aussi cette frange militariste ultranationaliste qui tente de surpasser le pouvoir du jeune empereur Hirohito pour amener le Japon sur la voie de la guerre. Leurs destins se croisent, s’entrechoquent et c’est l’histoire de tout un pays, de tout un monde qui se déploient sous nos yeux. 

Tragédie

Le réel dépasse bien souvent la fiction. Cédric Condon le sait bien. Mêlant habilement les codes de la tragédie à un récit documentaire illustré par une multitude d’archives filmées, il livre un film puissant qui transcende l’histoire dont il fait le récit. 

Ayant échapper à plusieurs tentatives d’assassinat, Makino, fervent partisan de la paix, mourra dans l’après-guerre, loin des sphères du pouvoir avec la culpabilité de n’avoir pas pû emmener son pays sur la voie de la conciliation politique. En 1937, sous l’influence croissante des militaires, l’empereur Hirohito avait approuvé l’invasion de la Chine. Le Japon était entré dans une guerre qui fit 30 millions de morts sur le continent asiatique et qu’il ne quitta qu’en 1945 après avoir été terrassé par les bombes nucléaires américaines. “Le baron et l’empereur” éclaire avec justesse le processus complexe qui a conduit à cette catastrophe humaine. L’influence des radicaux. L’impuissance des prudents. 

Alexis Gonzalez @algonzlz

“Le Baron et l’Empereur. Japon la voie de la guerre”, documentaire de Cédric Condon (France, 2023, 54 min) sur france.tv, jusqu’au 06 mai 2024.