Il mesurait presque trois mètres et pesait sept tonnes. Fritz l’éléphant est né dans les années 1820 en Asie et mort en 1902 à Tours. Sa dépouille est visible au musée des Beaux-arts de la ville. Le livre Fritz, les mémoires d’un éléphant, écrit par la militante pour la cause animale Isy Ochoa, retrace la vie de cet animal de cirque. La réalisatrice Camille Ménager s’ en est inspirée pour réaliser le documentaire La Tragique histoire de Fritz l’éléphant. A travers le parcours de ce personnage, c’est la grande histoire de l’exploitation des animaux sauvages qui est racontée dans ce film.
Entretien avec Camille Ménager, documentariste de films d’histoire.
C’est la première fois que vous travaillez sur un projet lié aux animaux. Vous n’êtes pas une militante de la cause animale, qu’est ce qui vous a donné envie de travailler sur ce film ?
Au départ, j’avais été très touchée par l’enthousiasme et le livre d’Isy Ochoa. Pour moi, ce film n’est pas militant. Comme je suis documentariste, j’ai voulu réaliser un film qui retrace les événements marquants de l’histoire animale. C’était un défi et une curiosité professionnelle de raconter la vie d’un animal.
Vous avez réalisé des biopics sur la photographe Gerda Taro ou encore sur François Ier. C’est la première fois qu’un documentaire animalier est raconté sous la forme d’une biographie. Pourquoi ce choix ?
Justement, ce n’est pas un documentaire animalier. Fritz est un personnage et un fil rouge qui me permet de raconter plus largement l’évolution de notre rapport aux animaux. Fritz a été capturé et exploité dans un zoo et un cirque, comme de nombreux mammifères terrestres à cette époque.
J’ai enquêté sur la vie de Fritz et de ses congénères. Je tenais à ne rien inventer, à rester très prudente dans mes recherches. J’ai finalement appliqué les mêmes méthodes d’investigation que pour les biographies d’êtres humains.
L’une des chercheuses interrogées dans le film explique que “les animaux ne laissent pas de traces”. Quelles sont les preuves sur lesquelles vous vous êtes appuyée pour reconstituer la vie de Fritz ?
J’ai trouvé très peu de sources pour la première partie du film sur le commerce d’animaux sauvages. L’entreprise qui a fait venir Fritz en Europe s’appelle Hagenbeck. Cette dernière a aussi détenu et géré des zoos humains. Comme Hagenbeck a refusé de me laisser consulter leurs archives, je me suis tournée vers les travaux d’historiens qui ont étudié d’autres commerçants similaires.
La deuxième partie du documentaire porte sur un autre grand pan de la vie de Fritz : les spectacles au sein du cirque Barnum & Bailey. J’ai eu accès à beaucoup d’archives. Celles de Barnum & Bailey sont très bien conservées. C’est une véritable mine d’or ! Elles sont numérisées et consultables depuis la France. Je me suis presque perdue dans cette masse de documents : photos, vidéos, cartes postales, articles de presse, affiches de cirque… J’ai essayé de remonter dans le temps le plus possible pour trouver la mention de Fritz. Parfois, les animaux ont le même nom, ce qui n’a pas rendu mes recherches faciles.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de l’élaboration du documentaire ?
Je voulais éviter de faire un film larmoyant. L’histoire est suffisamment tragique, il ne fallait pas rajouter du pathos. Aussi, le film ne devait pas asséner aux spectateurs quoi penser. J’espérais plutôt leur laisser la place pour réfléchir et se forger un avis par eux mêmes. J’ai également essayé de ne pas faire d’anthropomorphie, de ne pas prêter d’intentions à Fritz.
Êtes-vous contre la présence des animaux dans les zoos et les cirques ? Est-ce que c’est le message que vous vouliez transmettre dans ce film ?
Le but de ce documentaire est de provoquer une réflexion sur l’enfermement des animaux, mais aussi sur notre rapport à eux et à la nature. A titre personnel, travailler sur ce projet m’a permis de progresser sur les questions liées à la cause animale. Je suis désormais contre la présence des animaux dans les cirques. Concernant les zoos, je comprends l’émerveillement des visiteurs devant des éléphants, des lions, des girafes… Mais je pense qu’il faut lutter contre ce plaisir égoïste et éphémère.
Et une question essentielle reste à résoudre : que deviendraient les animaux si tous les zoos étaient fermés du jour au lendemain ? Je n’ai pas de réponse. Certains animaux ne peuvent pas être relâchés subitement dans la nature s’ils ont vécu en captivité toute leur vie. J’espère que le film pourra déclencher ce type de réflexion chez le public.
Propos recueillis par Lucile Coppalle