Florilège de la vie quotidienne à Téhéran, Chroniques de Téhéran, du duo de réalisateurs iraniens Ali Asgari et Alirez Khatami, dévoilent neuf visages d’une société oppressée par le régime islamique.
Plan large de la capitale qui s’endort et se réveille. Il suffit d’un plan, le premier, pour nous plonger dans les abysses de Téhéran. La fête nocturne laisse place aux klaxons, aux sonneries et aux sirènes de la journée. Enfoui·es dans la ville, neuf millions d’habitant·es. À la lisière du documentaire, les réalisateurs de cette fiction, Ali Asgari et Alirez Khatami, empruntent à la nouvelle vague ses codes et son esprit. Ils bouleversent les règles filmiques, et proposent onze longs plans séquences en 80 minutes. Certain·es y verront une redondance formelle. D’autres, un parti-pris fort. Avec un face à face fixe et sans artifice, chaque plan immisce le·a spectateur·ice, pour quelques minutes, dans la vie de gens ordinaires. Neufs visages se dévoilent, ceux qui, au quotidien, affrontent l’oppression du pouvoir de la République islamique d’Iran. Un père enregistre le nom de son fils à l’administration, une directrice convoque une élève, une mère habille sa fille… Au travers de ces histoires, les réalisateurs reprennent les combats qui leur sont chers : la condition de la femme, la société patriarcale et le régime islamique. Dans “Juste une nuit”, leur premier long métrage sorti en France, ils avaient déjà abordé cette peur insufflée dans la société par le régime.
L’absurde face à l’oppression
Les réalisateurs maîtrisent l’art du dialogue. Simples, ils mettent à nu les institutions et nous amènent vers les rives de l’absurde. “Vous n’avez qu’à acheter un canari, il chante pour vous et coûte moins cher à nourrir qu’un chien”, lance une voix hors-champ. C’est celle d’un policier à une femme, après que son chien ait été enlevé. C’est aussi celle qui demande à un père de choisir un nom religieux pour son fils. Les interactions et les situations nous font d’abord sourire. Mais, cette voix nous fait violence. Incarnation de ce pouvoir autoritaire, elle donne au film toute sa grandeur.
Omniprésente, elle devient la coupable, celle contre qui les iraniens se dressent. “Je ne fais pas de politique, je fais simplement mon travail”, souligne-t-elle dans une autre séquence, servant malgré elle une ode à la résistance. Chroniques après chroniques, le long-métrage se fait le porte-parole des iranien·nes. Toutes les générations y sont représentées. Et on le devine, parmi les neuf personnages se cachent des révolutionnaires de 1979 et d’aujourd’hui, celles et ceux qui se sont soulevé·es après la mort de Masha Amini en septembre 2022.
Le temps d’une scène de fin majestueuse, le pouvoir, incarné dans les traits d’un vieillard, vacille. Aussi implacable que cocasse, Chroniques de Téhéran en explore la moindre faille pour mieux la mettre en lumière.
Janice Bohuon @JaniceBohuon
CHRONIQUES DE TÉHÉRAN, DE ALI ASGARI ET ALIREZ KHATAMI. IRAN. 1H17. DANS LES SALLES LE 13 MARS 2024.