[FIFH 2022] Philippe Rouyer : “Si un film posait problème, il quittait la compétition”

© Alexis Pfeiffer

Programmés au Festival international du film d’histoire de Pessac, les documentaires Europa Maudits : Metropolis et Jeune cinéma critiquent plusieurs aspects du septième art. L’historien du cinéma, célèbre pour ses chroniques dans “Le cercle” sur Canal +, revient sur l’évolution des mœurs dans cet industrie. Du traitement des animaux dans les westerns au conformisme de Cannes lors de ses premières années.

Europa Maudits : Metropolis met en exergue la tyrannie que Fritz Lang exerçait sur son plateau de tournage. Ce genre de scénario se produit-il encore ? Ou assiste-t-on à une évolution des mentalités ?

Philippe Rouyer. Tout dépend du réalisateur. Par exemple, des techniciens ont témoigné d’un mal-être sur les tournages d’Abdellatif Kechiche. Certains réalisateurs ont besoin de créer le trouble. C’était le cas de Jean Renoir, de Jean-Luc Godard, etc. Reste qu’il y a une législation, aujourd’hui. Notamment en ce qui concerne les enfants. On contrôle en avance la nature des scènes : ce qu’on peut leur demander ou non, leurs horaires de travail… Même schéma pour les animaux. On ne peut plus faire un film dans lequel ils seraient brutalisés. Les westerns des années 60 étaient une boucherie. On cassait les pattes des chevaux. On les battait. Et ce, dans n’importe quel pays. Les assurances sont désormais très vigilantes à ces problématiques. La réglementation est forte. Tom Cruise prend des risques parce qu’il se l’impose. Un cinéaste tyrannique ne pourrait plus mettre en danger la vie de ses comédiens. 

Toujours dans Europa Maudits : Metropolis, la question de la dénaturation par le montage est abordée. Dans l’histoire du cinéma, le contrôle du réalisateur sur son œuvre s’est-il accru ? 

P. R. Chaque pays a sa propre culture. En France, le cinéaste est roi. C’est une chance puisque cela rend le remodelage abusif moins courant. Aux Etats-Unis, le réalisateur n’est qu’un employé comme les autres. Une fois qu’il a présenté une troisième version de son long-métrage, on lui dit : “Merci, tu peux rentrer chez toi.” Puis il est interdit de salle de montage. Le producteur peut tout à fait engager une autre personne pour tourner de nouvelles séquences. En fait, c’est un domaine sur lequel on n’a pas tellement avancé. Si on revient en France, les films diffusés à la télévision sont souvent coupés. Les producteurs n’ont pas besoin de l’accord du cinéaste pour le retailler avant son passage le dimanche soir. De nombreuses scènes sont régulièrement enlevées. Le spectateur croit qu’il a vu le film. Mais ce n’est pas le cas. 

On sent également que Fritz Lang s’est perdu dans son projet grandiloquent, y compris financièrement. Ce fut aussi le cas de certains réalisateurs du Nouvel Hollywood. Les réalisateurs actuels maîtrisent-ils mieux leur budget ? 

P. R. Cette guerre est toujours d’actualité. Les cinéastes dépassent couramment le financement à disposition. Ils espèrent recevoir plus d’argent. Cette situation apparaît au début du XXe siècle. Dans les années 1910 et 1920, le réalisateur a tous les pouvoirs. Mais ça ne dure qu’un temps. D. W. Griffith, notamment, sort Naissance d’une nation en 1915. C’est un succès phénoménal qui le pousse à réaliser Intolérance dans la foulée. Là, il se heurte à un échec commercial. Les producteurs perdent beaucoup d’argent et décident de lui attribuer moins de prérogatives. On arrive dans une situation où certains se retrouvent à court d’argent. David Lynch a reconnu s’être heurté à cet obstacle avec Dune, en 1984. Il a manqué de fonds pour boucler l’histoire. A la fin, le résultat était bâclé. 

© Alexis Pfeiffer

Jeune cinéma raconte l’histoire du festival du cinéma expérimental de Hyères, son lancement en 1965 et sa fermeture en 1983. Le lieu s’est érigé en contre-proposition d’une industrie du septième art jugée trop “conformiste”. Les festivals de l’époque étaient-ils réellement trop uniformes dans leur programmation ?

P. R. C’était assez vrai dans la première moitié du XXe siècle. Prenons l’exemple de Cannes. De 1946 à 1962, ce sont les pays qui choisissent les films qui partent en compétition. On imagine aisément les problèmes que cela a pu engendrer. Si un long-métrage posait problème, il quittait la compétition. Aujourd’hui, le panorama des festivals est extrêmement diversifié. Et libre. Un film comme Le goût de la cerise, Palme d’or en 1997 et arrivé clandestinement, illustre cette indépendance. Le festival ne se souciait pas de froisser les autorités iraniennes. A côté de ça, on peut aller voir des courts-métrages à Clermont-Ferrand, du documentaire à Pessac, des films romantiques à Cabourg… Le nombre d’événements est astronomique. Je ne rentrerai jamais chez moi si je me rendais à chacun d’entre eux. 

On apprend dans le film qu’une partie des spectateurs reproche aux festivals leur déconnexion du public. Sont-ils trop élitistes ?

P. R. Je ne pense pas. Cannes est le paradis du cinéma d’auteur. Ce qui n’empêche pas les longs-métrages primés d’être des succès commerciaux. C’est le cas de Sans filtre cette année. L’innocent, de Louis Garrel, a également cartonné, etc. Il existe malgré tout un cliché du “film de festival” : un long-métrage d’origine étrangère avec une dimension psychologique. Le genre d’œuvre qui reste confidentielle et à laquelle on ne peut pas réduire tout un festival. Ces événements doivent rayonner pour survivre. Si les salles étaient vides, ils n’existeraient plus depuis belle lurette.

Propos recueillis par Alexis Pfeiffer