[FIFH 2022] « Much Loved », dans les arrières salles de la prostitution 

Avec « Much Loved », le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch capture l’invisible. Un film qui dérange en s’attaquant à la prostitution 

Dans «Much Loved», Noha, Randa, Soukaina et Hlimaa survivent de la prostitution.

On s’y attendait. Much Loved affole, Much Love choque. Successions de plans crus, le film de Nabil Ayouch a réussi son pari : montrer une réalité connue mais camouflée. Rangées au rang des parias de la relation éphémère et des rapport tarifés, Noha, Randa, Soukaina et Hlima traversent les nuits marocaines sous les regards d’une société choquée. Une difficile acceptation de celles dont tout le monde connaît l’existence, mais dont les vies sont souvent obstruées. Visibiliser un non-dit, le défi était ambitieux. Avant même sa projection, Much Loved s’est attiré les foudres du royaume marocain en se voyant interdit.

La première séquence du film pose en ce sens bien le décor. Un palais luxueux de la banlieue de Marrakech à l’abri des curiosités, pas des excès. À l’intérieur, une poignée de Saoudiens totalement débridés et une vingtaine de prostituées. Placées sous la tutelle d’une mère maquerelle forcément mauvaise, elles tentent d’attirer l’attention des plus fortunés de la soirée dans des robes moulantes ornées de strass. Parmi elles, Noha, l’héroïne du film (brillamment interprétée par Loubna Abidar ) et Randa. Après une nuit arrosée, elles se retrouvent dans une salle de bain du palais et « debriefent » leurs clients. Noha est tombée sur un homme aux coups de reins trop francs et s’arrose le bas ventre de coca-cola pour calmer la douleur, avant de repartir dans la chambre.

C’est dans ces arrières salles que nous emmène Much Loved. On pourrait s’attendre à une succession de scènes de sexes sordides (il y en a forcément), mais Nabil Ayouch a préféré braquer sa caméra sur les contours de ces vies marginales. Les quatre jeunes filles vivent ensemble dans un appartement du centre-ville dans lequel on ne comprend pas très bien qui fait quoi. Qu’importe. Leur relation est elle aussi un peu flou. Elles entretiennent un rapport conflictuel, ponctué si ce n’est d’un peu d’amour, au moins d’une bienveillance certaine. 

Chemins de traverse

Traverser les nuits les unes après les autres en quête de clients, combler les problèmes économiques par une passe supplémentaire…Le quotidien des quatre filles se répète. À l’arrière du taxi de Saïd, leur chauffeur et protecteur – il est le seul à prendre soin des filles – elles se racontent leurs dernières nuits. La tête de leurs clients quand ils jouissent, leurs fantasmes, les filles en rigolent. Se moquer, dédramatiser ? Difficile en revanche de savoir ce qu’elles en pensent au fond de tout ça. Leurs vies dans un engrenage sans fin, elles n’en parlent pas. Des envies d’ailleurs, non plus. 

Alcool à gogo et rails de coke sur fond de musique traditionnelle, les soirées se suivent dans une quasi-routine. Le destin de ces femmes reste néanmoins totalement inconnu. Le film s’accroche à une temporalité réduite. On y saisit rapidement l’esquisse d’une émancipation. Des vies parallèles assumées, affranchies des codes de la société. Plus délicat, on distingue rarement les émotions des quatre héroïnes. On ne sait d’ailleurs pas d’où elles viennent ni ce qui les a conduits sur le trottoir de cette vie. 

Connaître autant leur intimité sans vraiment savoir qui elles sont, l’ambiguïté est parfois gênante. C’est en ce sens une intimité impersonnelle que Nabil Ayouch met en scène. Un moment court, sans filtre et sans amour mais d’une proximité évidente. Much Loved ne laisse pas indifférent et ose évoquer d’autres réalités sous-jacentes. Le tourisme sexuel des Occidentaux et des Saoudiens, la sexualisation des enfants ou encore la question de l’homosexualité. Un monde cru, bien réel, que ce film arrive pourtant à montrer en laissant la place à une relative tendresse.

Bastien Marie 

Much Loved, de Nabil Ayouch

Film franco-marocain, 1 h 44