[FIFH 2022] Le destin tragique d’une impératrice étouffée par les conventions

Présenté en avant-première dans la section Un certain regard du festival de Cannes 2022, Corsage fait partie de la compétition fiction du Festival de film de Pessac. Dans ce biopic intense, la figure de l’impératrice d’Autriche y est représentée avec audace, s’affranchissant des codes de son époque. 

Vicky Krieps dans Corsage. Copyright Felix Vratny

Décembre 1877, à Vienne. L’impératrice Elisabeth d’Autriche fête son anniversaire, le regard vide : “ À 40 ans l’être humain se fane, s’assombrit comme un nuage.” Consciente qu’elle vieillit, Elisabeth fait tout pour retrouver sa jeunesse. Dans les yeux de ses amants, dans des voyages, dans des cavales à cheval. Une quête de liberté. 

La réalisatrice et scénariste autrichienne Marie Kreutzer livre un biopic sombre et étonnant. Bien loin de la douce et insouciante Sissi incarnée par Romy Schneider dans les années 60, son impératrice prend congé d’un banquet en brandissant son majeur en l’air, tire la langue à son médecin et traite un valet de “gros connard”. Elle se rapproche davantage de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Cigarette en main, rebelle, son regard tue et défie. Mais c’est la tristesse et la lassitude qui la guettent. La perte d’un enfant, un époux qui la délaisse. Et la prison que représente son rôle. 

Victime des conventions 

Des gros plans sur les plats qu’elle ne touche pas. Sur son corset que l’on serre toujours plus fort. Sur sa taille que l’on mesure quotidiennement. L’impératrice, anorexique, est obsédée par son apparence, son âge et son poids. Des préoccupations dictées par le patriarcat. “Mon rôle est de présider aux destinées du royaume. Ton rôle se limite à le représenter”, lui rappelle d’un ton sec son époux François-Joseph Ier, empereur d’Autriche, incarné par Florian Teichtmeister. 

Habituée aux rôles dramatiques, l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps offre une performance intense. Celle qui doit sa renommée internationale au drame Phantom Thread réalisé par Paul Thomas Anderson en 2017 est aussi à découvrir aux côtés de Gaspard Ulliel dans Plus que jamais d’Emily Atef, sorti le 16 novembre dernier. 

Une héroïne énigmatique

Narcisse des temps moderne, l’impératrice prend du plaisir quand on la regarde et se fait filmer par Louis Aimé Augustin Le Prince, précurseur du cinéma lors de son voyage en Angleterre. “Vous ne me reconnaissez pas? En septembre vous m’aviez dit que j’étais belle”, souffle-t-elle à un patient dans sa visite d’un asile. Celle qui s’allonge à côté d’un homme amputé sur son lit d’hôpital, qui réveille sa fille en pleine nuit pour une balade à cheval, surprend. Elle va jusqu’à faire pleurer sa coiffeuse officielle Fanny Angerer lorsqu’elle coupe grossièrement sa longue chevelure auburn en un carré inégal. Un symbole fort. C’est à partir de ce moment-là que la délivrance s’opère vraiment. 

L’énigmatique et imprévisible impératrice est filmée avec une esthétique finement travaillée. Chaque scène est un tableau. Un tableau qui ne cesse d’interroger le présent. Entre normes physiques dictées par le patriarcat et lutte pour l’émancipation.

Ysé Rieffel

Corsage

Marie Kreutzer

Autriche, Luxembourg, Allemagne, France, 113 min.