[FIFH 2022] Jean Crépu : « Tout le monde s’est plu à penser que le Mali était un exemple de démocratie »

Dans son documentaire « Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage », le réalisateur Jean Crépu décrypte les raisons de l’enlisement militaire français. Plus qu’une opération manquée, c’est avant tout le fruit d’une faillite de l’État malien.

Comment le Mali est-il passé de l’adulation de François Hollande en 2013 à la détestation de la présence française sur son territoire ? 

Il faut comprendre que si en 2012, une première opération militaire a réussi, les causes de la crise n’étaient pas résolues. Les villes et les territoires occupés par les djihadistes avaient été libérés mais les problèmes profonds de l’État malien persistaient. Il était toujours dans l’incapacité d’améliorer la vie des Maliens. La nouvelle élection présidentielle n’avait rien changé non plus. En restant, la France a donc été associée dans l’opinion à ces échecs de l’État. Il faut toutefois nuancer. Le sentiment anti-Français est très fort à Bamako, ville qui n’a jamais été occupée, mais bien moins présent ailleurs. Dans les villes libérées, comme Gao, les habitants vivent pleinement l’insécurité. 

La communauté internationale a longtemps loué la démocratie malienne malgré la corruption. Comment expliquer cet aveuglement ?

Je crois que tout le monde s’est plu à penser que le Mali était un exemple de démocratie en Afrique. Tous ceux qui connaissaient un peu le terrain s’avaient qu’il n’en était rien. On savait que le pays était corrompu. Et même après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita (DATE), on a fait semblant.

La corruption est-elle le terreau de l’islam politique ? 

Face à un état qui se décompose, à la corruption généralisée, les gens sont en quête de repères moraux. Logiquement, la religion en profite. Au Mali, il y a une large majorité de musulmans mais une culture politique laïque. Un islam plus radical est arrivé et exploite ces fragilités, notamment auprès des jeunes.

Le pays est-il destiné à devenir une république islamique ?

C’est toujours évitable mais les lueurs d’espoir sont faibles. Pendant le tournage au Mali, il ne passait pas un jour à la télévision sans un débat sur la place de l’islam dans la politique. Avec l’instabilité, il faut s’attendre à tout. Le gouvernement essaie d’ailleurs de donner des gages aux islamistes. Dernièrement, un juge islamique en fonction lors de l’occupation de Tombouctou vient d’être honoré par les militaires. 

Le conflit est ouvert dans tout le Sahel. Quelle position la France peut-elle tenir militairement dans la région ? 

Militairement, Emmanuel Macron a acté le retrait de la force Barkhane sans dessiner les contours de l’avenir. On ne peut pas imaginer que la France disparaisse totalement de la région. Je pense que le pays a compris que ces 10 années de présence ont créé beaucoup de ressentiment et qu’il faut envisager une aide différente. Mais avec toutes les perturbations, comme le récent coup d’état au Burkina Faso (date), il est difficile de partir sur tous les sujets. La réponse pourrait être plus européenne. 

L’influence russe croissante est une raison de plus pour rester… 

C’est peut-être la plus mauvaise nouvelle finalement. La présence russe pourrait être une catastrophe. L’arrivée des mercenaires de Wagner, même si les autorités maliennes s’en défendent, va aggraver la situation. Les populations se retrouvent en fait sous une triple menace : les forces maliennes, qui se sont livrées à des exactions, l’armée djihadistes et les soldats de Wagner. C’est en effet une raison de plus pour la France et l’Union européenne de rester. Il faut essayer de garantir la sécurité des Maliens, ils n’aspirent qu’à ça. 

Recueilli par Louis Faurent et Paul Lonceint-Spinelli