[FIFH 2022] Fratricide guerre du Vietnam

Bernard George propose dans son documentaire de traiter la guerre du Vietnam par ce qu’elle fut d’abord, une guerre civile entre Vietnamiens. Une proposition intéressante mais pas assez tenue.

Réalisé pour Les coulisses de l’Histoire – une collection d’Arte qui veut « décrypter les faits en proposant un autre regard »Ce documentaire de Bernard George tente de traiter la guerre du Vietnam, sous le prisme « lutte fratricide » qu’elle fut aussi. Un angle à rebours d’un conflit souvent présenté comme une opposition entre le géant américain et un petit pays d’Asie du Sud-Est pris dans la Guerre froide. Rambo ou Apocalypse Now ne nous ont jamais montré autre chose.

Si l’intention est marquée, le procédé formel reste classique avec un commentaire sur archives. En noir et blanc ou en couleurs, les images, parfois inédites – comme celles de Madame Nhu, belle-sœur du dirigeant du Sud, Ngô Dinh Diem, se moquant d’une révolte bouddhiste – portent les émotions que les mots ne peuvent transmettre. Les échecs idéologiques de 80 ans d’occupation française, les déboires des accords de Genève qui séparèrent un pays et sa population de part et d’autre d’une frontière invisible : le 17ème parallèle. Le Nord aux communistes, le Sud sous régime pro-occidental soutenu par les Etats-Unis, qui n’avait de démocratique que le nom. Et des gens ordinaires écartelés, sommés de choisir leur camp en 300 jours.

Les images d’archives et de propagande américaine sont attendues et convenues, parfois violentes ou déjà vues, et ce qui émeut le plus reste la vie de ces Vietnamiens déracinés. Des migrants dans leur propre pays, où familles et amis s’entre-déchirent, partagent la même douleur, « les morts la même terre ».

Mais, trop vite, cette idée novatrice – dans ce qu’elle « désaméricanise » le regard porté sur cette guerre – se dilue dans une volonté d’exhaustivité qui devient son défaut. En moins d’une heure, difficile de balayer avec précision et nuance : l’ingérence française, puis américaine dès 1965, les crimes perpétrés par l’élite vietnamienne sur sa propre population. Au Sud avec les sectes religieuses militarisées (bien mis en évidence par le réalisateur), et la répression sanglante de Ngô Dinh Diem avant son assassinat. Au Nord avec le joug de Hô Chi Minh, émule du modèle chinois. Idem pour les thématiques de la dictature déguisée au Sud avec son opinion censurée, ou au Nord avec la purge sociale et l’expropriation terrienne.

Pour autant, l’entreprise reste louable pour redonner une place dans les mémoires et dans l’Histoire à ces destins chahutés par la guerre. Comme le dit un adage Vietnamien, « La guerre n’a d’égards ni pour les plus humbles, ni pour les parents ou les amis. » Meurtres et exécutions eurent parfois lieu au sein même des familles. Le film n’évite pas au spectateur la grandiloquence de certaines images de propagande, comme la froide exécution d’un Viêt Công par le général Nguyen Ngoc Loan, le 1er février 1968, une image immortalisée par le photographe Eddie Adams.

Le documentaire gagne en intérêt dans son dernier mouvement, sur cet après-guerre et les vies oubliées des défaits du Sud restés au pays. Déchus de leurs droits civiques et politiques, martyrisés par le pouvoir communiste, les « poussières de vie », ces enfants mis au ban de la société et du système éducatif car nés de l’union entre femmes vietnamiennes et soldats américains, en est l’exemple type. Un exil dans leur propre pays, sauf pour ceux – ils furent plus d’un million – qui réussirent à fuir vers la Thaïlande ou d’autres contrées.

Pour une première entrée dans la période, le documentaire reste appréciable et didactique. Pour ceux qui seraient en quête d’un propos plus étoffé, le remarquable « Vietnam » de Ken Burns et Lin Novick en dix épisodes (18 heures au total) est à recommander. De par la multiplicité des points de vue offerts, les auteurs narrent autrement l’Histoire, en s’attardant encore davantage sur les vies ordinaires. Une réussite qui tient aussi à la proportion des moyens engagés, 30 millions de dollars (28 millions d’euros) et dix ans de production.

Vivien Latour


Vietnam, une guerre civile
Bernard George
FRA, 52 min.