Lundi 14 novembre, “Annie Colère” a ouvert le Festival International du Film d’Histoire au cinéma Jean Eustache de Pessac. Février 1974, Annie, interprétée par Laure Calamy, a décidé de se faire avorter clandestinement et rejoint le Mouvement pour la Liberté de l’Avortemement et de la Contraception (MLAC). À travers elle, la réalisatrice, Blandine Lenoir, raconte un pan largement méconnu de notre histoire qui durera 18 mois.
“Vous aussi vous avez avorté ?” Dans les yeux de Chantale brille le reflet de l’enfance, à peine dissipée. La crainte de l’opprobre, la peur du drame, aussi. “Tout le monde s’est fait avorter ici”, la rassure Annie, ouvrière et mère de deux enfants. Elle a rejoint le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception quelques mois plus tôt et pratique l’avortement illégal, méthode karman. Le film suit les 18 mois de combats de ces anonymes ayant œuvré dans l’ombre jusqu’à la promulgation de la loi Veil, en 1975.
Loin des cris de douleurs et des draps ensanglantés, l’avortement est montré avec une extrême douceur dans “Annie Colère”. Jamais anodin, il est toujours entouré d’une attention particulière. Dans ces chambres, rien n’est montré, tout est suggéré par un subtil jeu de regards entre femmes, militantes, médecins ou travailleuses. Blandine Lenoir réussi son pari : filmer l’avortement comme de longues minutes de tendresse. Les mains s’entrelacent, les caresses se succèdent et des sourires s’échangent dans un enchaînement de plans serrés. Le courage d’avorter se puise chez les autres et se relâche à l’écran dans un immense souffle de soulagement. Et les mots d’Annie résonnent en nous : “C’est politique la tendresse”.
Derrière le rideau de la librairie de Nevers, où les militantes du MLAC ont posé bagage, Annie découvre la force de la sororité et les joies de la transmission. Dans ces cercles de parole privilégiés, elle apprend à écouter les autres et à s’écouter elle-même. Quand tout va mal, les mots apaisent. “On va trouver une solution”. Le partage de l’expérience, tout en retenu, révèle la puissance du témoignage. Dans ce local à la lumière tamisée et au papier peint désuet, on se reconnaît entre femmes. Progressivement, la parole devient partage du savoir-faire. Pédagogue, la réalisatrice nous prend la main. Chaque ustensile est montré, chaque étape de l’avortement est explicitée, rompant parfois avec le rythme du film. Comme en miroir, Annie transmet à son tour à sa fille.
Derrière son apparente douceur, Annie est rongée par une colère sourde et invisible. De ces rages qui mènent à l’action. Ici, Laure Calamy est d’une justesse rare. Au contact des médecins et militantes, l’ouvrière se transforme de manière parfois trop rapide et superficielle. Mais c’est sans compter sur la force des personnages secondaires, Viviane la librairie, Jean le médecin, le docteur Chevals ou Monique la militante.
Et c’est ce collectif qui intéresse la réalisatrice. Blandine Lenoir met en lumière celles qui furent longtemps invisibilisées par la grande histoire. Son but : fabriquer ces images manquantes, leur donner la place qui leur revient. Un devoir de mémoire qui nous rappelle, au moment où le droit à l’avortement est partout menacé, que les droits des femmes ne sont jamais acquis. Et d’être vigilantes, souvent, de prendre soin les unes des autres, toujours.
Salomé Chergui
Annie Colère
de Blandine Lenoir
France, 2h