À travers L’Histoire oubliée des femmes au foyer, Michèle Dominici rend un puissant hommage à ces femmes invisibles de la seconde moitié du XXème siècle. Avec ce documentaire, diffusé le 18 novembre au Festival International du film d’histoire de Pessac, la réalisatrice souhaite éveiller les consciences.
Comment vous est venu cette idée de raconter l’histoire des femmes au foyer de la seconde partie du XXème siècle ?
J’ai d’abord eu l’idée du titre du documentaire. À l’origine, il devait s’appeler La merveilleuse et tragique histoire des femmes au foyer. À partir de là, je me suis demandé « quel film je fais ? ». J’ai commencé mes recherches dans des ouvrages universitaires, historiques, contacté Geneviève Fraisse (philosophe française de la pensée féministe). J’ai été estomaqué par le peu d’informations disponibles. Il n’y avait rien en France ni à l’étranger. Lorsque je me suis saisie du sujet, mon objectif était de donner la parole à ces femmes, sans leur voler car dans la publicité, ce sont souvent les metteurs en scène qui parlent à leur place. Je ne voulais pas qu’elles aient, une nouvelle fois, un rôle de cruche.
Le documentaire commence dans les années 50 où vous racontez l’histoire d’Anna, Francine et Ruby, comment avez-vous sélectionné ces trois profils ?
Je suis allée à l’association pour l’autobiographie qui collecte depuis les années 90 des journaux intimes d’anonymes. Parce que toutes ces vies sont des romans. J’ai lu ces journaux et je ne me suis pas ennuyée une minute. J’ai noté les citations les plus marquantes et les ai classées par thèmes. Tous les récits convergeaient vers des étapes de vie assez similaires : mariage, premier enfant, ennui. Une fois ce travail réalisé, j’ai reconstitué trois vies emblématiques et changé le nom des personnes qui souhaitaient rester anonymes.
Pourquoi réaliser ce film 70 ans plus tard ?
On a toute une femme au foyer derrière nous. Qui nous dit « tu n’es pas une maman parfaite, tu ne consacres pas assez de temps à tes enfants, tu ne cuisines pas assez bien, ta maison n’est pas assez bien tenue ». Une espèce de Jiminy Cricket, un fantôme diabolique dans notre cerveau. Comme rien n’a été fait sur ces femmes, que c’est un point aveugle de notre histoire, cette petite voix peut continuer à nous parler. Il faut en faire le portrait pour que les consciences émergent.
Avec ce documentaire, vous souhaitez interpeler toutes les générations ?
Il s’adresse d’abord aux femmes âgées pour leur rendre leur intelligence car elles ont souvent été prises pour des idiotes. Je voulais faire un portrait d’elles respectueux et nuancé. Les jeunes filles sont aussi concernées. J’avais à cœur de brosser le portrait du fantôme. Qu’elles se rendent compte de ce que signifie être femme au foyer. On a tous la légende en tête. Maintenant, regardez ce qu’en disent celles qui ont incarné ce rôle.
À l’aube des manifestations féministes des années 70, mère et fille se confrontent sur la vision de la femme au foyer. Avez-vous eu ce débat avec votre mère ? Les femmes au foyer ont-elles tenu un rôle dans l’émancipation des futures générations ?
Le choc a été moins fort entre ma mère et moi car c’est déjà une autre génération – j’ai eu 20 ans dans les années 80. Mais j’ai eu des discussions à ce sujet avec elle et son parcours a décidé du mien. De manière générale, je pense que les femmes au foyer ont, consciemment ou non, été le terreau de la première révolution féministe. Elles ont encouragé leur fille, œuvré à la naissance et l’émergence de cette deuxième vague féministe dans les années 60.
Les femmes au foyer sont moins nombreuses aujourd’hui mais les jeunes filles restent influencées par les fables et contes de fées qui n’ont pas évolué ?
C’est quelque chose qui date de dizaines de milliers d’années et qui est à peu près réparti dans toutes les civilisations du monde. C’est une structure culturelle extrêmement puissante qu’on ne va pas défaire en cinq minutes. Il y a des reliquats très puissants en nous. Les jeunes filles d’aujourd’hui ont encore cette espèce de modèle en tête consciemment ou inconsciemment. C’est très difficile de s’en défaire mais ça bouge beaucoup.
Vous parlez beaucoup de l’influence de la publicité dans les années 60 qui montre un idéal de vie aux antipodes de la réalité. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux, des influenceuses se mettent en scène à l’image de ces publicités. Sommes-nous dans le même registre selon vous ?
À l’époque une femme mariée à un homme qui gagnait suffisamment bien sa vie, devenait femme au foyer. Il n’y avait pas d’autre issue possible. Aujourd’hui on peut l’être et travailler en même temps. Ce que les femmes ont gagné aujourd’hui c’est le choix. Si elles sont heureuses en étant femme au foyer et en faisant des tartes aux pommes, si c’est le sens qu’elles veulent donner à leur vie, c’est très bien pour elles. Ce serait un retour en arrière si elles étaient obligées de le faire.
Vous avez réalisé plusieurs documentaires sur la condition des femmes, avez-vous observé une évolution dans la manière de traiter ce sujet ?
Il y a eu un avant/après Metoo. Avant, ce n’était pas à la mode de faire des films sur les femmes. On m’a souvent dit « tu me fatigues avec ta thématique ». Maintenant les sujets que je propose sur ces mêmes thèmes ne sont plus ennuyants. Si on me disait que je ne pouvais plus traiter de ces thématiques, j’arrêterais peut-être mon métier. Je trouve que les femmes sont souvent représentées comme des victimes et je veux les montrer comme des personnes puissantes. Les films que je réalise ne dénoncent pas mais ils émancipent. Il faut toujours réfléchir à comment représenter les femmes, à qui donner la parole, comment les mettre en images, comment les raconter. C’est un travail complet. On doit sortir de la femme soumise et les mettre en valeur dans toute leur variété, donner à voir et à rêver.
Propos recueillis par Ludivine Ducellier