[FIFH 2021] Résister pour exister

Mauthausen, un des camps de concentration les plus impitoyables du régime nazi. En dépit de cette sauvagerie, des hommes parvinrent à produire des preuves qui se retournèrent contre leurs bourreaux : 1 000 photos prises au risque de leurs vies. 

L’histoire des camps a fait l’objet d’abondants écrits. Celle de Mauthausen a la particularité d’avoir été la plus documentée sur le plan visuel. Notamment grâce aux tirages et négatifs de Francisco Boix, interné dans le camp entre 1941 et 1945. Ce républicain espagnol fut considéré comme un pionnier du photojournalisme et se désigna lui-même « reporter de guerre » à la Libération. En 1946 – lors du procès de Nuremberg – il fit le récit des atrocités dont il fut le témoin. Preuves à l’appui, il dénonça les actions des SS et la propagande du IIIème Reich. À Mauthausen, 120 000 personnes perdirent la vie. 

Barbarie, animalité, sadisme

Pendant 52 minutes, Barbara Necek nous plonge dans cette fabrique de la mort. La caméra effectue un travelling saisissant aux portes de l’enfer. Une fois franchies, la voix off de Francisco Boix prononce ces mots : « à ce moment-là, nous avions compris que nous étions dans un camp d’extermination. » S’ensuit un silence de plusieurs secondes. Le message est fort. Certains plans suscitent le malaise tant l’impression d’être dans le camp est vive. La musique pudique, retenue, est utilisée à bon escient, pour laisser place à nos émotions les plus profondes. 

Les photos de la chambre à gaz, du four crématoire ou des corps inertes remuent profondément et interrogent sur la noirceur sans fond de la nature humaine. L’exécution du détenu Hans Bonarewitz fournit un triste exemple de l’inventivité morbide des tortionnaires. Parvenu à s’échapper, il est dénoncé par la population locale. Les Nazis, touchés dans leur égo, mettent en scène une marche grotesque et macabre. Hans défile devant les 10 000 prisonniers sur les notes de « J’attendrai » de Tino Rossi. Puis, il est pendu à la vue de tous.  

Résister au centre de l’enfer

C’est finalement grâce à une infection de poux que la résistance s’organise à Mauthausen. Le 21 janvier 1941, les SS décident de tout désinfecter. Les prisonniers se retrouvent pendant 18 heures dans la cour du camp. Nus. Une proximité salvatrice puisqu’elle permet aux hommes de prendre conscience de la situation de leurs camarades. Ce sont les Espagnols – déjà organisés avec la guerre civile – qui orchestrent la résistance. Francisco Boix est en première ligne. Son travail au sein du service d’identification lui permet de développer les photographies. À l’abri des regards, les Espagnols tentent de les faire sortir – au péril de leur vie – pour garder une trace de ce qu’ils ont vécu. 

L’éclairage des historiens est nécessaire. D’utilité publique, il permet de mieux comprendre ces photos. Mais l’autre force de ce documentaire réside dans les témoignages des anciens détenus. Des Français, des Polonais, des Espagnols… Au total plus de 40 nationalités sont passées par Mauthausen. Des visages, des noms à jamais meurtris par ces années de souffrance. Ces hommes qui résistaient au bord de l’abîme ont encore trouvé le courage de fixer l’horreur sur pellicule. Se doutaient-ils alors qu’ils offraient ainsi aux générations suivantes une résistance décisive à l’effacement de la mémoire ?

Nicolas Azam

« Les Résistants de Mauthausen » (2021) de Barbara Necek. (52 min)