Dans un documentaire en forme d’hommage pour les femmes au foyer, la réalisatrice Michèle Dominici recueille les témoignages de ces femmes qui ont passé leur vie enfermée dans ce rôle loin de l’idéal espéré. Un film bouleversant et formidablement bien construit.
Un air de Dalida, Come Prima. Retour en 1950, le dix février. Anna a 23 ans et rencontre l’homme avec qui elle va passer sa vie. Elle réalise le rêve de toutes les petites filles bercées par les contes de fées. « Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». La vie doit être tracée ainsi. Être une bonne épouse puis devenir une bonne mère.
Dans un film de 52 minutes qui questionne autant qu’il émeut, Michèle Dominici, raconte au fil d’une succession de récits l’histoire oubliée des femmes au foyer. Celui d’Anna, Ruby et Francine. Un travail réalisé à partir des journaux tenus par ces femmes tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle. Un nouveau documentaire sur la condition des femmes, sujet sur lequel la réalisatrice n’en est pas à son coup d’essai. Après Simone Signoret figure libre (2020), Les Suffragettes, ni paillassons ni prostituées (2012) ou Madame la ministre (2012), Michèle Dominici part à la rencontre de ces femmes « invisibles ».
D’entrée, les images et vidéos d’archives nous embarquent dans leur univers « au-delà des clichés du bonheur conjugal ». La promesse est tenue. En cette époque d’après-guerre, les épouses « sont invitées à retourner à leurs fourneaux pour laisser la place aux héros, aux soldats et prisonniers revenus travailler. Elles sont sommées de procréer pour la nation ». Fonder un foyer est le seul avenir possible. Mais la réalité est loin du stéréotype de l’épouse heureuse et épanouie imaginée par la publicité.
Le temps passe et l’histoire imaginée, enfermée entre quatre murs, s’avère être une formidable déception. L’image de la vie de famille rêvée, une terrible désillusion. « Comment en suis-je arrivée là, à cette fatigue, cet ennui ? Que s’est-il passé pour que ma vie m’échappe à ce point ? », se demande Anna.
Confrontation mère/fille
Le documentaire se révèle aussi passionnant sur le fond qu’élégant dans sa forme. À l’écran, les récits sont parfaitement rapportés par des actrices de la Comédie-Française. D’un bout à l’autre, le film porte la voix de ces femmes, leur colère et leur inquiétude. Le tout orchestré par une bande son épousant parfaitement l’image. Le téléspectateur est embarqué. Sans oublier la qualité des recherches d’archives photos et films d’actualité d’époque. Nous traversons les années avec Francine, partageons le chagrin de Ruby. Ce documentaire renvoie à la condition d’une mère, d’une grand-mère d’aujourd’hui. Et elles, comment vivaient-elles ?
Francine, Anna et Ruby se questionnent et regrettent d’observer le monde à travers les yeux de leur époux. Les hommes partent à la conquête de l’espace. Elles rêvent d’une autre vie. Leurs ambitions seront accomplies par les générations suivantes. Parfois par leurs propres filles. La réalisatrice met en exergue les désaccords entre parents et enfants. Les jeunes femmes veulent s’émanciper, éviter de ressembler à leur mère. « Tu ne peux pas me dire que tu te réalises le lundi en pensant à ta lessive, le mercredi au marché et le jeudi pour la journée des enfants », exprime une adolescente.
Puis les évolutions s’enchainent. Nouveau régime matrimonial. Début du Mouvement de libération des femmes. « Toute une vie remise en question », raconte Anna. Comme des millions d’autres femmes au foyer, elle voit arriver cette nouvelle génération qui ose et refuse de s’enfermer dans un schéma de vie classique.
Cette émancipation sera guidée et encouragée par les femmes au foyer. La fin du film est touchante. Les mots restent justes. C’est un échange épistolaire entre Anna et sa fille qui parcourt le monde. Elle est archéologue. « Surtout, continue de m’écrire. Tu sais qu’à travers toi, je voyage un peu ». Grâce à l’hommage rendu par Michèle Dominici, l’Histoire des femmes au foyer est désormais bien connue.
Ludivine Ducellier
« L’Histoire oubliée des femmes au foyer », de Michèle Dominici. 52 minutes