Nicola Cuvelier-Mella, co-auteur du documentaire « À la source de la tyrannie », revient sur l’émergence des figures despotiques du XXème siècle. Des hommes aux enfances névrosées qui ont su accéder au pouvoir.
Vous avez décidé de dresser le portrait de ces tyrans en vous focalisant sur leur jeunesse. Pourquoi avoir choisi cette période de leur vie ?
Nicolas Cuvelier-Mella : Vous savez, c’est un peu comme dans un roman. Même si vous ne voyez pas la jeunesse du personnage vous l’imaginez pour tenter de lui définir une personnalité. Avec François Aunay (NDLR, co-auteur du documentaire), on a trouvé intéressant de traiter ce sujet. C’est fondamental pour comprendre comment ces hommes sont devenus des tyrans. Nous étions partis d’une idée préconçue qu’ils avaient tous eu une enfance traumatisante. C’était un peu de la psychanalyse de comptoir (rires). On s’est vite rendu compte que cela était bien plus complexe et nuancé que ce postulat de départ.
En tant qu’auteur, quel a été votre rôle dans ce documentaire? Et comment avez-vous choisi les dictateurs ?
NCM : J’ai énormément lu. Il y a un travail fondamental de documentation à faire en préalable. J’avais déjà une base bibliographique mais pas assez approfondie. Ce documentaire s’inscrit dans une série et j’avais déjà travaillé sur « La sexualité des tyrans » sorti en 2014. À partir de ce travail de recherche, il faut réfléchir à la construction du récit. Nous n’avons pas souhaité commencer de manière chronologique. Dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur la propagande mise en place par ces dictateurs. Avant de revenir à une structure chrono-thématique avec l’enfance violente, l’éducation puis la formation.
Quant au choix des dictateurs, nous avons souhaité sortir d’un schéma purement européen. Et surtout quelque chose qui ne soit pas juste dans Hitler, Staline et Mussolini. On a élargi notre champ de vision au Moyen-Orient. Nous nous sommes renseignés sur Kadhafi mais les sources sur sa jeunesse sont peu fiables. En revanche, nous avions plus d’informations sur Saddam Hussein. Donc nous avons retenu ce personnage. Nous avons aussi pensé à Pol Pot et Franco. Mais pour ce dernier, il y avait un problème d’expert, il n’y a pas vraiment de pointure en France.
Quel est selon vous, le point de bascule qui en fait des despotes ?
NCM : Je pense que c’est avant tout leur époque. Il y a eu un environnement politique et social qui a permis l’émergence de ces personnalités hors du commun. Quand on regarde de plus près, Staline, Mao et Mussolini sont des leaders. Hitler est quant à lui un cas particulier. Quand il est jeune, rien ne le prédispose à devenir dictateur. On est dans l’accident humain total. Avec ce documentaire, nous avons souhaité vulgariser ces histoires et non en donner une vision exhaustive. Simplement ouvrir une porte aux spectateurs qui souhaiteraient approfondir le sujet.
Pouvez-vous expliquer comment ces dictateurs ont réussi à convaincre les foules ?
NCM : Tout d’abord, l’environnement politique et social est propre à chaque pays. Prenons l’exemple de l’Italie. Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Italie estime que la France et la Grande-Bretagne lui ont volé les bénéfices de sa victoire. A celà s’ajoute le traumatisme qu’a été la révolution bolchévique pour les populations locales. La peur du communisme. La guerre civile russe est d’une atrocité totale. On ne peut pas dire que Lénine ou Trotski soient des tendres. C’est un ensemble de circonstances qui font que ces discours s’entendent. Dans le cas de Mao Zedong, on est dans une lutte clandestine violente. Chez Staline, dans la dictature du prolétariat. Quant à Hitler, son cas est différent. On lui donne le poste de chancelier et il finit par prendre le pouvoir par un coup de force. Mais il faut rappeler qu’une part non négligeable de la population le soutient à ce moment-là.
La violence est aussi un élément clé qui permet l’adhésion des foules. Elle est omniprésente dans l’Histoire. Elle peut même expliquer une civilisation entière comme la civilisation féodale. Pour se protéger de la violence, on crée un ordre.
Vous le rappelez, vous avez été l’auteur de « La sexualité des tyrans ». Retrouve-t-on cette même violence ici ?
NCM : Dans ce documentaire, nous voulions dépeindre la monstruosité des tyrans. Nous nous étions dit que la sexualité ou la vie amoureuse sont les endroits où les névroses s’épanouissent. Nous nous étions demandé si la monstruosité politique était dû à une monstruosité sexuelle ou l’inverse. Par exemple, Staline était un monstre mais il a une vie assez banale pour cette époque. Contrairement à Mussolini ou Mao qui sont des obsédés sexuels. Mussolini était un violeur. Mao avait un cheptel de danseuses qui étaient censé satisfaire tous ses besoins.
Sommes-nous en train de créer les tyrans de demain ? Le documentaire se conclut sur cette question. Est-ce votre avis ?
NCM : Nous ne sommes pas dans l’après Première Guerre mondiale. Mais il y a aujourd’hui un climat politique et social avec une montée des nationalismes dans le monde entier. Et celui-ci peut s’apparenter à ceux du XIXème et XXème siècle. Le XXème siècle est une période de combats idéologique. Dans les totalitarismes, les doctrines englobent la totalité des relations sociales. La vie des citoyens était dédiée au régime et le régime était issu d’une idéologie.
Propos recueillis par Nicolas Azzam