[FIFH 2021] Massoud, résistance de la mémoire

La renommée de Massoud a traversé l’histoire moderne de l’Afghanistan. Nicolas Jallot reconstitue dans son film, Massoud, l’héritage, le parcours d’un commandant résistant de toujours. Une lutte pour son pays et sa région racontée par son fils, mais aussi les hommes et les femmes qu’il a rencontrés.

Ahmad Shah Massoud, capture d’écran, « Massoud, l’héritage », 2021

Dans sa langue natale, son nom se traduit par « le chanceux ». Massoud. Nommé commandant au Panjshir, une vallée au nord-est de l’Afghanistan, il est entré dès le coup d’État de 1973 dans la résistance envers le régime communiste soutenu par l’URSS. Dans son film, Massoud, l’héritage, le réalisateur et journaliste Nicolas Jallot s’intéresse à cette personnalité singulière, animée par des idéaux d’égalité et de liberté. À travers le témoignage de ceux qui ont croisé sa route, il retrace son parcours pour en faire un récit captivant.

Les nombreuses images d’archives déroulées chronologiquement éclairent la vie de cet homme, marquée par les guerres successives et la montée du terrorisme. Nicolas Jallot, fasciné, brosse le portrait de ce résistant longiligne qui ne quitte jamais son Pakol, le béret en laine traditionnel. Calme, taiseux, il impressionne par son autorité. La richesse du documentaire se compose des photographies montrées au fil de son parcours. Les clichés ont été pris par les nombreux témoins interrogés, que ce soit Raymond Depardon, Reza pour National Geographic, Pascal Maitre pour l’Express. On retrouve aussi toute l’équipe des French Doctors, médecins humanitaires accueillis par Massoud dans les années 80. Chaque image isole un moment significatif de sa vie, une anecdote éclairante. « Il était fin stratège et réalisait des mouvements impossibles à prévoir », se remémore Reza devant une image de lui jouant aux échecs.

La photographie s’installe habilement comme une mise en abîme. Elle dialogue avec les vidéos d’archives. Ces dernières manifestent la médiatisation – voulue et subie – du chef de guerre. Comme Christophe de Ponfilly, journaliste français d’Antenne 2 qui devint très proche de Massoud, la presse cherche à « donner un visage à la résistance afghane ». La disposition fluide de ces images illustre le personnage, offre une existence tangible à la population, reconstitue le contexte de ses actions.

Massoud le silencieux

Il faut attendre la mi-temps du film pour entendre la voix du commandant – « un timide » se souvient Raymond Depardon. Ses silences laissent une place aux montagnes hostiles, arides ou enneigées. Il incarne la région du Panjshir, mais ne s’efface pas pour autant. Il s’impose par sa carrure et sa prestance de chef.

Si le récit donne de bonnes clés de compréhension sur l’histoire afghane, l’enjolivement de la personnalité du résistant frappe. Massoud n’aurait-il eu aucune zone d’ombre ? Nicolas Jallot apporte une nuance brève et tardive. L’universitaire Michaël Barry relate son enlisement dans une guerre de clans après le retrait des troupes soviétiques en Afghanistan en 1989. Il souligne avec justesse la complexité des relations entre communautés. Massoud exécute, commande, se perd dans sa haine. « Il est un chef de guerre avant tout » rappelle Vincent Hugeux, grand reporter à L’Express.

Face aux talibans, il émerge à nouveau comme le résistant. Il sort du conflit inter-ethnique. Remobilise la vallée par ses discours. Il entreprend des voyages en Europe pour parler des exactions des talibans et alerter sur la situation. Le son écrasant des tambours remplace alors la flûte folklorique du début du film. Le rythme s’accélère. L’histoire de Massoud prend un tournant dramatique. Il est désigné « homme à abattre » par les talibans. Il meurt dans un attentat-suicide le 9 septembre 2001. Les images glaçantes du 11 septembre suivent. Le public fait face, impuissant, à l’avènement du terrorisme international.

Le film aurait pu s’arrêter là. Fine observation du combat d’un homme pour ses idées et son pays. Mais son fils, Ahmad Massoud, reprend le flambeau de son père. Il porte le même pakol. Le leg de Massoud reste pourtant en suspens. La prise du pouvoir par le régime taliban en août dernier interroge sur l’avenir du nouveau chef de guerre. Le documentaire apporte un éclairage décalé. Celui d’un espoir. Mais, comme le constate le grand reporter Vincent Hugeux, cet « héritage est un inestimable trésor et un insupportable fardeau ».

Lucile Bihannic

Massoud, l’héritage, un documentaire de Nicolas Jallot, France, 2021, 92 minutes, diffusé le 9 septembre 2021 sur Histoire TV.