[FIFH 2021] Les femmes dans la Commune : l’illusion d’une émancipation

Dans l’imaginaire collectif, la Commune de Paris aurait été un moment clé dans l’émancipation des femmes en France. Or si des communardes ont bien eu un rôle à jouer et des figures ont émergé, en 1871, l’égalité entre les sexes n’était pas encore à l’ordre du jour. 

« La Commune n’a pas été un grand mouvement d’émancipation des femmes, elle a été menée et dirigée par des hommes ». Michel Winock, historien et professeur émérite à Science Po, pointe du doigt un mythe qui s’est construit autour de la femme pendant la Commune. Mais il n’y a pas de fumée sans feu. Les femmes ont bel et bien joué un rôle. Des figures, des appels à prendre les armes, des discours en faveur de l’égalité des sexes ont émergé. Ce sont bien elles qui ont, le 18 mars 1871, combattu les troupes versaillaises à Montmartre, ont tenu la barricade de la place Blanche, ont fondé des clubs comme l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. 

«  La Commune est très importante dans l’histoire du mouvement féminin mais ce n’est pas une révolution »

Impossible de parler de la Commune sans mentionner le nom de Louise Michel, la seule femme a être officiellement reconnue sur le champ de bataille. Mais aussi, Elisabeth Dmitrieff fondatrice de l’Union des femmes, André Léo romancière et journaliste ou encore Paul Mink, animatrice des clubs féminins. Selon Raphael Meyssan, réalisateur du documentaire « Les Damnés de la Commune », la glorification de ces figures participe à “l’idéalisation de la place de la femme” pendant cette période. C’est comme si toutes les Parisiennes, agissaient, pensaient et avaient la même légitimité qu’elles. Ce n’était pas le cas. « Pendant la Commune, une grande partie des femmes intervenaient en tant que femmes du peuple. Elles étaient peu nombreuses à réellement porter des revendications féministes », nuance Quentin Deluermoz, historien et professeur à l’Université de Paris. Raphaël Meyssan, ajoute : « Au final, seules quelques centaines de femmes sur des dizaines de milliers d’hommes ont participé au mouvement communard. La Commune est très importante dans l’histoire du mouvement féminin mais ce n’est pas une révolution »

Au XIXème siècle, la distinction entre les sexes est très forte. « La femme est considérée comme inférieure, affirme Quentin Deluermoz. Elle serait soumise à ses nerfs et par conséquent incapable de faire de la politique. » Le procès des Communards par le gouvernement versaillais révèle cet état d’esprit. Le spécialiste de la France et de l’Europe au XIXe siècle explique : « Les juges ont adopté deux attitudes. Soit ils considéraient que la femme avait trop transgressé et les punissaient davantage que les hommes. Soit les juges partaient du principe que les femmes étaient incapables d’avoir une parole politique, qu’elles ont seulement suivi les hommes. Dans ce cas, elles étaient acquittées et un non-lieu était déclaré ». Selon l’article de Carolyn J.Eichner, paru dans le hors-série numéro 90 de la revue L’Histoire, au total, 1 051 femmes sont passées devant le conseil de la guerre, 251 ont été condamnées. Sur les 4 000 déportés, on compte seulement 25 femmes.

« Les Républicains avaient peur que les femmes votent pour les conservateurs » 

Du 18 mars au 28 mai 1871, il n’a pas été question d’accorder le droit des votes ou le droit d’éligibilité aux femmes. Elles-mêmes n’en faisaient plus une priorité. Elles ont été déçues par leur exclusion du suffrage universel en 1848. Seuls des hommes siégeaient au Conseil de la Commune, la commission exécutive installée à l’hôtel de Ville de Paris. « Pour comprendre ce dédain du sexe féminin, il faut avoir en tête la philosophie des Républicains de l’époque, des hommes de gauche, souligne Michel Winock. Les Républicains avaient peur que les femmes votent conservateurs. Les femmes, davantage que les hommes, portaient une grande importance à l’Église catholique. Pour eux, c’était, de ce point de vue, dangereux de donner le droit de vote aux femmes. Puis, il était intériorisé que c’était aux hommes de faire de la politique. » 

Une division du travail entre les hommes et les femmes 

Une réelle division du travail est en œuvre à cette époque. Les femmes règnent sur la vie privée, les enfants, l’éducation. Les hommes dominent la vie publique. Ils ont pour mission de rapporter de l’argent pour nourrir la famille. Ce partage des tâches va être appliqué au sein même de la Commune. Les historiens parlent d’une « division sexuelle du travail révolutionnaire ». Les femmes étaient chargées d’instruire les enfants, de soigner, de cuisiner. Grâce aux clubs révolutionnaires, des réunions populaires décentralisées, elles ont pu faire entendre leur voix. Non pas sur les stratégies politiques ou guerrières mais sur les questions de la vie quotidienne.

« Les femmes prennent la parole dans les clubs mixtes mais, de ce que j’ai lu, elles se donnent la fonction de regard, de surveillance, détaille Quentin Deluermoz. La Commune en tant que mouvement révolutionnaire facilite la parole. » Les femmes devaient toutefois veiller à ne pas dépasser leurs prérogatives, au risque d’être rejetées et moquées par les hommes. Si les femmes étaient souvent accueillies à bras ouverts par les Communards, les officiers de la Garde nationale se montraient, quant à eux, beaucoup plus réticents. Le 1er Mai, le Comité de Salut public a décrété que les femmes étaient hors la loi sur le champ de bataille. Seule Louise Michel était officiellement acceptée. 

La Pétroleuse, symbole de la misogynie

Contrairement à ce que l’on peut croire, la misogynie n’avait pas déserté la forteresse parisienne. « Au XIXème siècle, la qualité républicaine est associée à la virilité. Les femmes sont donc invisibilisées », analyse Quentin Deluermoz. Le mythe de la Pétroleuse, des femmes accusées de mettre le feu aux immeubles pour venger les communards fusillés, symbolise cette misogynie. « Toute révolution créée une image féminine monstrueuse, le corps de la femme va incarner une atteinte à l’ordre moral, social et naturel. La figure de la sorcière fascine, observe l’historien. En général, les femmes tirent moins de bénéfices des révolutions mais c’est toujours sur elles que ça retombe en termes symboliques. » 

Hormis l’égalité des salaires pour les instituteurs et les institutrices ou le droit à la pension distribuées aux femmes, veuves ou non, les femmes ont acquis peu de droits. « Il faut aussi penser que ce fut un événement bref, il fallait penser au plus pressé. Peut-être que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes serait arrivée plus tard », s’interroge Michel Winock. Selon lui, la Commune est une étape dans le mouvement des femmes. Une étape à la longue bataille pour l’égalité des sexes encore en œuvre aujourd’hui. 


Juliette Brossault