[FIFH 2021] Lise Baron : « Une porte d’accès à Marguerite Duras »

Propos recueillis par Mathilde Muschel.

Comment vous est venue l’idée de ce documentaire ? 

J’ai lu Marguerite Duras vers l’âge de 20 ans, mais je n’avais pas lu toute son œuvre. Il y a quelques années, j’ai relu d’autres livres d’elle et notamment La douleur que je n’avais pas lu à l’époque. Et ce livre m’a ouvert vers des choses que je ne connaissais pas du tout de l’écrivaine. J’ai donc commencé à me documenter, et j’ai eu très envie de travailler sur elle. J’ai visionné les films faits sur Duras et je me suis rendu compte qu’il n’y avait finalement pas de film qui retraçait toute sa vie. Soit les films étaient sur des thématiques précises comme l’Indochine ou son écriture, soit ils abordaient des parties de sa vie.  Arte a réalisé un très beau film sur elle, mais il est assez fragmentaire et ne donne pas forcément des éléments biographiques très précis. Avec mon producteur, nous avons donc proposé à France Télévisions ce documentaire, avec le but de donner des éléments précis de la biographique de Marguerite Duras, et de déconstruire certains aprioris. Et puis surtout raconter ce que l’on connait moins d’elle, comme le cinéma ou le journalisme. Raconter qu’il y a plusieurs Duras et Marguerite en une personne. L’idée était de donner une porte d’accès à Marguerite Duras pour ceux qui la connaissent déjà et la redécouvrent, mais aussi pour ceux ne la connaissent pas forcément et ne l’ont pas lue. Le but inavoué en faisant ce film était de donner envie aux gens de lire ou relire son œuvre.

Vous évoquez La Douleur, quels sont les livres qui vont ont le plus marquée ?

Les romans qui m’ont plu étant jeune étaient Le Vice-consulLe Ravissement de Lol V. Stein et Moderato cantabile – dont je parle dans le dernier tirage du documentaire – et effectivement, La Douleur. Dans ce livre, son écriture est assez différente des autres – tout en restant visiblement du Duras. Et il y a toute cette ambiguïté autour de l’idée de ce qui est vrai et ne l’est pas. Duras dit avoir retrouvé des cahiers qu’elle avait écrits à l’époque, mais le livre a été finalement édité bien plus tard. Il y a donc cette question autour de la vérité historique et de sa vérité à elle, que je trouve très intéressante. 

Le film feuillette à l’envers la vie de Duras en commençant par sa mort, quel est l’intérêt de ce choix narratif ? 

J’ai beaucoup réfléchi à la façon de raconter ce film. J’étais très embêtée, car en commençant par le début, donc l’Indochine, j’étais obligée d’emblée de faire référence aux textes de la fin de sa vie, notamment L’Amant et L’Amant de la Chine du Nord.  Je souhaitais faire entendre ses textes et les mettre au centre du documentaire. Étrangement, le plus logique était de partir de ses œuvres et donc de partir de la fin de sa vie, quand elle a tout écrit, et de remonter chronologiquement.  Je me suis ainsi affranchie du problème de redire deux fois la même chose en parlant de l’Indochine. Cela pouvait donner une espèce d’effet circulaire, une boucle entre sa vie et œuvre. Et c’est ce qu’elle a fait : finalement on ne sait plus ce qui est la vie et ce qui est l’œuvre, ce qui est avant ou après. C’était également une façon de la faire vivre éternellement, le film ne va pas vers sa mort, mais vers sa naissance, l’endroit où elle puise toute son inspiration pour ses livres. 

Le ton est très poétique, surtout avec la présence du piano, et de certaines illustrations … 

J’ai travaillé avec Cédric Le Guillerm, un compositeur et pianiste. Je voulais absolument que la BO soit au piano, car c’est un instrument que j’affectionne et que je connais bien.  Et je trouve que c’est la musique au piano qui évoque le plus Marguerite Duras. Ensuite, la comédienne est une composante très importante, car elle porte le film. Elle devait à la fois porter l’histoire de Duras et porter ses textes. Nous avons également fait le choix d’avoir la même personne qui module légèrement sa voix selon qu’elle est dans le récit ou dans les extraits de textes. Enfin, j’ai travaillé avec une documentaliste spécialisée en film d’histoire, Audrey Grégoire. J’avais envie de voir également à l’image des illustrations poétiques. Je lui ai demandé de chercher des plans de mer, de champs de blé ou de pommiers sous la pluie.

Dans vos documentaires, vous abordez des phénomènes de société : les conditions de travail à l’usine, la PMA ou Marguerite Duras.

J’ai fait des études d’histoire et ce qui m’intéresse, ce sont les films d’histoire et de culture et principalement de travailler autour de l’archive. La chose commune à tous mes films, c’est l’archive, quel que soit le sujet. Le documentaire sur la PMA, Éprouvantes éprouvettes (2021) est un peu particulier, car nous avons souhaité raconter avec mon compagnon notre parcours ainsi que ce que d’autres personnes ont vécu a posteriori. Il y a effectivement des connexions entre mes films autour de l’engagement politique, notamment à gauche. Dans Étudiants, tous à l’usine ! – Itinéraires de maoïstes ouvriers(2018), il y avait cet engament très fort à une période où Marguerite Duras elle-même est assez engagée. Je finis actuellement un film sur le groupe « Information prison » fondé par Michel Foucault dans les années 70, qui redonne la parole aux prisonniers.  J’aborde donc toujours un peu les mêmes thématiques, notamment sur la façon avec laquelle des intellectuels de gauche se saisissent de problématiques de société et descendent dans l’arène, vont aux côtés des ouvriers ou des prisonniers pour se battre à leurs côtés. C’est également le cas de Marguerite Duras : dans le documentaire, on la voit être embarquée par la police à une manifestation pour un foyer de travailleurs.