Barbara Necek, réalisatrice du documentaire Les Résistants de Mauthausen, livre dans ce film les coulisses de cette histoire singulière. Des prisonniers espagnols qui, au péril de leur vie, ont caché des photos de propagande de manière à documenter la barbarie nazie.
Vous avez réalisé de nombreux documentaires sur la Seconde Guerre mondiale. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette période historique ?
Barbara Necek : J’ai une appétence pour l’Histoire qui me vient de mon père. Petite, il m’emmenait déjà visiter des lieux comme le camp de Mauthausen. Je pense aussi que c’est lié à mes origines polonaises. En Pologne, l’Histoire passionne un peu tout le monde. Je me rappelle aussi d’un professeur d’histoire engagé. Il nous a parlé de cette période sans filtre et il nous a montré le film Nuit et Brouillard (référence au décret ordonnant la déportation de tous les ennemis ou opposants du Troisième Reich). Puis, une fois que je m’y suis intéressée, je me suis rendu compte qu’on pouvait toujours ouvrir de nouvelles portes qui permettant d’aller plus loin et de décortiquer la Seconde Guerre mondiale.
Comment avez-vous découvert cette histoire des résistants de Mauthausen ?
J’ai grandi à Linz, à 20km de Mauthausen. C’est l’un des camps principaux que l’on visite quand on est à l’école. Donc j’avais quelques connaissances sur ce lieu. Mais je ne m’étais jamais intéressé à l’histoire précise des républicains espagnols dans ce camp. Ni même dans la Seconde Guerre mondiale. Puis j’ai mis le nez dedans et j’ai découvert qu’il y avait beaucoup de choses à dire sur ce sujet. C’est là toute la richesse des films d’histoire, on part d’une accroche (le sauvetage des photos), mais cela ne devient intéressant que si l’on dépasse ce stade. À savoir s’interroger sur la résistance dans les camps, la transmission de la mémoire ou la constitution de preuves pour punir les bourreaux. Chacun de ces thèmes pourrait être traité de manière analytique.
1000 photos ont été sauvées du camp de Mauthausen. Est-ce la seule trace visuelle que l’on ait des camps de concentration ?
Il faut avant tout rappeler que Francisco Boix n’a jamais pris de photos dans le camp du temps où il était prisonnier. Il développait et classait les négatifs. Il a uniquement documenté la Libération. L’avantage du camp de Mauthausen est que l’on a une variété de thèmes très importante qui permet de retracer la vie quotidienne des déportés à travers l’œil du bourreau. Mais aussi du fonctionnement du service photo présent dans tous les grands camps. Des images qui ont servi à identifier les bourreaux lors du procès de Nuremberg.
Dans d’autres camps comme à Auschwitz par exemple, il y avait un photographe professionnel qui était un prisonnier polonais. Il faisait essentiellement des clichés signalétiques à l’arrivée des détenus. Malgré l’ordre de les détruire, il est parvenu à en sauver beaucoup. Je crois que près de 40 000 nous sont parvenues. Certains ont même réussi à en prendre clandestinement. Les nazis avaient bien conscience des preuves extraordinaires que cela représentait. Il me semble important de préciser que l’on a majoritairement des images des tortionnaires. Il faut s’interroger sur l’utilisation des photos de propagande pour raconter l’Histoire.
Quelles étaient les autres formes de résistances dans ces camps ?
Dans les camps, la résistance se traduisait aussi par le vol de médicaments, de nourriture, de vêtements. Certains avaient des postes dans des bureaux de secrétariat, ils donnaient alors l’identité d’une personne morte à un des prisonniers. De manière générale, toute action qui était destinée à prolonger la vie peut être considérée comme un acte de résistance. Le but des nazis était de détruire certains groupes et catégories de prisonniers.
On a pu observer que la résistance se faisait aussi en fonction des nationalités des déportés. Quand les Espagnols arrivent, ils sont assez homogènes contrairement aux Polonais. C’est-à-dire qu’ils sont tous politisés et ils ont pour la plupart déjà connu des camps de prisonniers en France ou en Allemagne. Ils ont déjà une expérience de ces camps et de l’entraide. Le cas des Polonais est lui différent. C’est l’intelligentsia qui était ciblée comme les prêtres, les professeurs, mais aussi des ouvriers qualifiés. Des gens qui malgré leur nationalité commune ne se seraient jamais rencontrés dans la vie.
En tant que réalisatrice, comment se prépare-t-on à filmer dans un camp de concentration ?
Il y a avant tout des repérages sur les lieux. Ensuite j’ai regardé les images qui existaient déjà. Aujourd’hui, il y a beaucoup de monde qui visite ce genre de lieu. Auschwitz est presque devenu un site touristique. Il y a un côté aseptisé qui rend l’immersion compliquée. Malgré l’effort des Autrichiens pour conserver ces lieux, je trouve qu’on n’y est pas. Toute cette histoire a été un peu muséalisée.
Propos recueillis par Nicolas Azzam