[FIFH 2024] Enric Marco, l’énigme d’une vie narcissique

Inspiré de faits réels, le film de fiction des réalisateurs Aitor Arregi et Jon Garaño tente de décortiquer la vie d’un personnage charismatique et menteur compulsif. Pendant presque une trentaine d’années, Enric Marco a prétendu être un survivant des camps de concentration nazis, jusqu’à devenir le porte-parole de l’association des déportés espagnols de Mauthausen.

“Et action !” La première réplique du long-métrage, après les quelques secondes d’images d’archives montrant des déportés juifs dans les camps de concentration nazis, à de quoi surprendre. Un clap volontairement laissé sous les yeux du public, comme pour l’informer de ce qui s’apprête à suivre. Les spectateurs vont plonger dans l’univers d’un homme prêt à tout pour se mettre en avant, quitte à inventer une fiction sur son passé pour maintenir sa position au sein de l’association qu’il préside. Au point même de tromper sa propre famille. 

Après avoir passé plusieurs décennies sur la construction de son affabulation, on retrouve Enric Marco invité à l’ouverture du musée des déportés du camp de concentration de Flossenbürg (Bavière, Allemagne) en 1999. Selon lui, c’est ici qu’il a été emprisonné lors de la Seconde Guerre mondiale. D’une voix hésitante, l’homme demande aux archivistes un certificat officiel prouvant sa présence sur les lieux à l’époque. Or, le document n’existe pas.

Numéro d’équilibriste

Enric Marco bafouille, change de sujet et finit par s’en sortir. Paupières creusées par le temps, gestes hésitants, yeux humides, voix haletante, l’acteur hispanique Eduard Fernández donne corps avec beaucoup de nuances à cette duplicité. Tout n’est qu’une question de temps avant que le château de cartes ne s’écroule.

Barcelone, cinq ans plus tard. Marco intervient devant une classe de lycéens pour parler de son vécu dans un camp de concentration. Il précise immédiatement son numéro de matricule, le 6448, alors qu’il avait oublié de le fournir aux archivistes de Flossenbürg. Les incohérences continuent de se multiplier dans le récit du président de l’association des déportés. Le mensonge vivra jusqu’en janvier 2005. Date à laquelle Enric Marco doit prononcer un discours important au Cortès, le congrès réunissant les députés espagnols. Les embrassades avec les autres déportés, sur fond de musique dramatique renforcent le sentiment de culpabilité du spectateur, le plaçant comme un potentiel complice du subterfuge.

Thriller inversée

L’entrée en scène de l’historien Benito Bermejo agit comme un véritable élément perturbateur. Le spécialiste de la déportation est le premier personnage à remettre en question le passé du protagoniste. Les jeux de lumières vont dorénavant jouer un rôle essentiel dans la suite de la fiction. Les captations d’un Enric Marco illuminé en public contrastent avec la face sombre du personnage en coulisses, en particulier lorsqu’il rejette  Bermejo au téléphone. 

Chaque mensonge découle d’un plan rapproché progressif sur le visage d’Enric. Ses refus de rencontre avec l’historien dictent le rythme du film. Petit à petit, l’étau se resserre sur cet orateur avide d’attention, capable de donner aux médias ce qu’ils attendent. L’imposteur cherchait un combat à travers lequel exister, illustrant au passage sa peur de la solitude. Une bonne histoire ne valait-elle pas “toute la vérité du monde ?”

Corentin Teissier

Marco, l’énigme d’une vie, de Aitor Arregi et Jon Garaño. Espagne, 1h41. Sortie dans les salles de cinéma françaises le 11 juin 2025.