Dora Maar, ni muse ni soumise

Figure majeure du surréalisme, l’artiste Dora Maar se révèle au grand public dans un documentaire hommage intitulé Dora Maar, entre ombre et lumière. Marie-Ève de Grave présente avec simplicité le génie de celle qui était bien plus que la mise de Picasso.

Dora Maar dans son atelier rue de Savoie , Brassaï (Photo : © Adagp, paris 2019 © Estate brassaï – Rmn-Grand palais)

Et la lumière fut. Dora Maar, muse maudite de Picasso, retrouve son identité d’artiste complète dans le documentaire que lui consacre Marie-Ève de Grave. Elle est née Henriette Théodora Markovicth, a vécu en femme avant-gardiste et s’est hissée parmi les génies du surréalisme avant de sombrer dans l’isolement. Son nom est trop souvent associé à Pablo Picasso, son amant pendant neuf ans. Il a peint plus de 500 portraits d’elle et en a fait « La femme qui pleure ». Marie-Ève de Grave nous la présente comme une photographe, peintre, poétesse et dessinatrice au destin aussi « dur » que « magnifique ».

Une artiste en clair-obscur

En amour comme en art, « Dora est compliquée ». Le film de 52 minutes raconte une artiste en quête d’identité. Son enfance entre l’Argentine et la France l’amène à la photographie, Paris l’invite à la peinture. En 1931, Henriette a 24 ans et devient « Dora Maar ». La photographe casse les codes esthétiques de l’époque et impose avec audace sa vision de la femme. Libre. Ses clichés allient beauté et étrangeté, réalisme et onirisme. « Ses œuvres sont duelles » explique, face caméra, Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume. A l’écran, les photos défilent et dévoilent l’œuvre méconnue de la plus grande photographe surréaliste des années 30. Sa rencontre avec Pablo Picasso interrompt le récit de son ascension.

Picasso, son « Dieu », la pousse à quitter l’appareil pour reprendre les pinceaux. A l’image de la musique qui rythme cette séquence, leur idylle inspire la mélancolie et nous place en témoins gênés de l’effacement de Dora. Jusqu’à la rupture qui emporte sa raison. Marie-Eve de Grave nous révèle le combat de la femme internée en psychiatrie. Dora choisit la « rédemption par le faire ». Elle peint jusqu’à la fin, reprend son appareil, et vit par et pour l’art. On peut admirer ses peintures abstraites qui retournent à l’essentiel. Ou ses négatifs qu’elle recouvre de peinture. Dans les années 1990, elle retourne à son premier amour, la photographie. Un portrait de Dora âgée la montre paisible. Elle a trouvé son salut dans la religion et finit par se cloîtrer. Elle meurt « dans la plus profonde solitude » : son appartement est montré vide, abandonné. Picasso ne s’en est pas préoccupé.

L’hommage en sobriété

Le documentaire de Marie-Eve de Grave frappe par sa justesse et sa simplicité. Il dévoile une Dora aussi douée que tourmentée. Les archives artistiques agrémentées d’explications biographiques relatent parfaitement ce dangereux équilibre entre ombre et lumière qui a plané sur sa vie. Le récit s’enchaîne avec fluidité, les commentaires sont efficaces, on ne peut que se concentrer sur l’essentiel. Dora sort de l’ombre de ses collègues surréalistes (masculins) pour briller par son engagement, artistique et politique. Le film rappelle qu’elle a signé le tract Appel à la lutte, rédigé par André Breton, après la manifestation des Ligues fascistes du 6 février 1934.

Dora Maar est une femme double, à l’image de son art. Des portraits d’elle qui passent au négatif appuient cette dualité en permanence. Une voix récite les dédicaces que son entourage lui adressait, de Paul Eluard à Man Ray. La « Dora, adorable, adorée » a marqué les esprits de son temps. Ce film lui offre un passage définitif à la postérité.

Maëlle Benisty

Dora Maar, entre ombre et lumière – réalisé par Marie-Ève de Grave – 2019 – 52 min