[FIFH 2022] Chili, 1976 :  diktat du thriller

Une femme de la bonne société chilienne se retrouve malgré elle à aider un opposant blessé. Cet éveil soudain à la lutte ne convainc pas vraiment et vire au thriller plan-plan.

Chili, 1976.
Manuela Martelli
Chili-Argentine, 1h35.

L’inoxydable figure d’Emma Bovary, bourgeoise en mal d’aventures, peut-elle se transposer à tous les contextes ? Pour son premier film, Manuela Martelli a essayé dans le Chili de Pinochet. Carmen approche de la soixantaine et tourne en rond dans sa villa d’hiver en bord de mer. Tout bascule quand le prêtre voisin vient chercher l’ancienne infirmière de la Croix-Rouge pour soigner un jeune homme touché par une balle à la cuisse. Celle qui croyait « être à la retraite » après avoir élevé ses deux enfants se découvre alors un nouveau marmot à couver, « un simple voyou » selon le prêtre. Mais en 1976, trois ans après le coup d’État, les bandits qui se cachent sont souvent des opposants en danger. Celui-là n’y échappe pas et entraîne la grand-mère dans une spirale de la peur.

Crainte des militaires, angoisse de la filature et obligation d’être discret sont d’abord très bien retranscrites. Le Chili d’alors est miné par la censure médiatique et politique du pouvoir, chaque strate de la population est dans l’expectative sans s’imaginer que la dictature va durer 17 ans. Dans cette famille de médecins propre sur elle, on ne se reproche rien mais on râle doucement sur ce général aux pleins pouvoirs. Le non-dit est loi.

Des choix mal assumés

À mesure que l’intrigue avance, le cas particulier du Chili cède sa place à la banalité des films à suspense. L’ambiance feutrée et secrète vire à la caricature. Poursuite en voiture faussement Hitchcockienne, météo hostile et mer déchaînée, scènes à rallonge. La deuxième moitié du film coche tous les codes du thriller… Et c’est trop. Pour dire le danger, le hors-champ devient systématique et les plans à la symbolique grossière s’entassent. Pire, la musique – synthés sourds sur percussions frénétiques – martèle lourdement le moindre risque encouru. Une délicate direction d’acteurs sauve un peu la crédibilité de l’affaire. Alice Küppenheim en madone dépressive et torturée par la cruciale question de ses peintures murales nous retient dans l’histoire, et Hugo Medina est un prêtre touchant, angoissé par ses actes sous la dictature.

Manuela Martelli abuse-t-elle de la tension pour se moquer des peurs abusives de cette Latine en manque d’actions ? Peut-être, mais le tableau n’est pas solide. La réalisatrice idéalise-t-elle au contraire le réveil d’une bourgeoise ? Pas plus crédible. Satire molle ou thriller manqué, c’est selon, cette première œuvre aurait pu être mieux assumée. L’abus des poncifs du genre vire au drame moyen. Une chronique acerbe de la bourgeoisie chilienne sous Pinochet n’était pas loin. Le terne film à suspense qu’il en reste est dispensable.

Louis Faurent