[FIFH 2022] “C’était la guerre d’Algérie”, l’histoire en face

Dans le documentaire “C’était la guerre d’Algérie”, George-Marc Benamou réalise une véritable fresque historique. Des images pour dire le traumatisme provoqué par 132 ans de colonisation et 8 années d’une guerre longtemps restée sans nom. Des images pour enfin mettre des mots.

Pour ce documentaire, George-Marc Benamou a retrouvé des milliers d’images d’archives filmées par l’armée françaises et longtemps censurées.

“J’ai longtemps essayé d’oublier l’Algérie”. Devant la caméra, les yeux de Nicole Garcia racontent l’oubli forcé de l’exilée et le déchirement de l’enfant. Elle perd sa voix lorsqu’elle évoque le pays qui l’a vu grandir. Et se rappelle seulement la baie d’Alger qui s’éloigne au loin, sur le bateau la menant à Montpellier. Comme elle, un million de pieds-noir ont fuit l’Algérie depuis 1962.

“Lever les tabous sur la guerre”. Voilà ce qui guide George-Marc Benamou lorsqu’il réalise la série documentaire “C’était la guerre d’Algérie”, écrite avec l’historien Benjamin Stora. Cinq épisodes d’une heure retraçant l’histoire franco-algérienne de 1830 à 1962, comme les cinq actes d’un drame cornélien.

Lever les tabous, c’est dire toutes les vérités. Dire les ravages de la colonisation, la torture, le déplacement forcé de millions de paysan·nes algérien·nes et la défaite du politique. C’est montrer les assassinats sommaires, comprendre l’attachement des pieds-noirs à cette terre, l’enrôlement des harkis dans l’armée française et la radicalisation du Front de Libération Nationale. On découvre, stupéfaits, le nombre rendez-vous de paix manqués, l’entrevue entre Yacef Saadi, chef du FLN, et Germaine Tillion, ethnologue et résistante, lors de la bataille d’Alger, en 1957. Un tabou reste entier, celui du viol d’Algériennes par des soldats français.

Que peut voir la France de la guerre ? Face à l’absence de mots pour décrire l’horreur du conflit, il y a la force des images d’archives, longtemps censurées, ici restaurées et colorées pour l’occasion. Quand l’histoire se fait plus cruelle, le réalisateur leur préfère le noir et blanc. Chèches et gandouras, tenues de généraux, femmes voilées, pieds noirs en maillots de bain, l’image réveille une époque, ses espérances, ses désillusions et ses contradictions.

Une histoire à hauteur d’hommes et de femmes, souvent difficile, parfois impossible. La jeunesse criante des soldats français et des combattants du FLN, dont le regard croise souvent celui de la caméra, est insupportable. Ce journaliste questionne un jeune appelé en 1956 : « Quelles sont vos impressions en Algérie, c’est la vie en plein air ? Cela vous rappelle un peu le scoutisme, non ? » 

George-Marc Benamou crée un récit choral. La voix grave et profonde de Benoît Magimel se mêle aux voix multiples de dizaines de témoins directs de la guerre. À l’œuvre dans ce documentaire, des histoires intimes et personnelles, des parcours qui se croisent, des vies qui se font et se défont. “Si je n’avais pas été dans les camps je n’aurais jamais appris à lire et à écrire. Quelle dette étrange envers une guerre”, se souvient Slimane Zeghidour, pensif. “J’ai perdu une jambe lors de l’attentat du Milk bar à Alger”, décrit Daniel Michel-Chich.“On était des lézards au soleil, on ne voulait pas que les choses changent”, confie un pied-noir. “Nous voulions enfin être des citoyens”, lui répond un officier du FLN.

Comment se construire après tout cela ? “C’est difficile de grandir avec une histoire qui n’est pas faite. Ça a déchiré ma famille”, témoigne Mehdi Boumendjel, petit-fils de l’avocat Ali Boumendjel, suicidé par l’armée française. Un silence assourdissant et traumatique, c’est aussi cela, la guerre d’Algérie.

Salomé Chergui

C’était la guerre d’Algérie

George-Marc Benamou et Benjamin Stora

France, 5 épisodes, 5h