« Canción sin nombre » : Le drame poétique du bébé sans nom

Avec Canción sin nombre, la réalisatrice péruvienne Melina León signe un premier film touchant et sombre. À travers le personnage de Georgina, le long-métrage revient sur une affaire de trafic d’enfants dans le Pérou des années 80.

Un jour, Ismael, le père de la réalisatrice, reçoit l’appel d’une femme qui parle espagnol avec l’accent français. Elle veut le remercier. Journaliste pour le quotidien péruvien República, dans les années 80, il a révélé le vol organisé de bébés de jeunes femmes pauvres. La femme au téléphone est Céline Giraud, arrachée des années auparavant à sa mère et adoptée par des Français.

D’après une histoire vraie 

Cet appel téléphonique est à l’origine de Canción sin nombre, “la chanson sans nom”. Dans un Pérou ravagé par la crise économique et les attentats du Sentier lumineux, Georgina, 20 ans et enceinte, vend des pommes de terre au marché pour survivre. Lorsqu’elle entend une publicité à la radio pour une clinique obstétrique gratuite de Lima, elle saute sur l’occasion et dans un bus, direction la capitale. Ni le spectateur, ni Georgina ne verra sa fille, qui lui est retirée dès l’accouchement. Le lendemain, la clinique a disparu. Pamela Mendoza, qui a pris 17 kilos pour le rôle, joue avec hargne le désespoir de la jeune mère. 

Ignorée par les autorités, Georgina décide de rendre publique son histoire et trouve de l’aide auprès de Pedro (Tommy Párraga) un jeune et timide journaliste. Il déroule alors le fil d’une affaire qui implique jusqu’au système judiciaire du pays. D’autres intrigues, toutes aussi passionnantes, s’ajoute ensuite à la principale. Cependant, la subtilité de leur mise en place peut être déconcertante et certaines questions restent sans réponses.

Noir et blanc

Malgré le format 4/3, presque carré, et l’absence de couleurs, ce film n’aurait pas pu être réalisé à une autre époque. De fait, il aborde les thèmes contemporains de l’oppression et du mépris des catégorie marginalisées de la population péruvienne à travers les personnages de Georgina, indigène, et de Pedro, homosexuel. 

Les paysages désertiques des Andes, filmés en hiver, sont rendus lunaires par le noir et blanc du film. Le cadrage à la précision millimétrique offre de beaux plans qui traînent parfois un peu en longueur. Mais la lenteur poétique du film est entrecoupée de magnifiques cérémonies traditionnelles en musique quechua et costumes majestueux. 

Après des problèmes de financement, le projet a mis près de 10 ans à être réalisé. L’équipe du film a même dû lancer une cagnotte de crowdfunding et la réalisatrice a fini le montage elle-même par manque d’argent. Un acharnement qui a porté ses fruits : Melina León est à présent la première femme péruvienne à avoir projeté son film au festival de Cannes. 

Philippine Kauffmann